Kilomètre
zero
de Hiner Saleem
[3.0]
|
|
|
|
L’Irak n’en est pas hélas à sa première
guerre. En effet, pendant dix années ce pays a livré
une guerre sans pitié à son voisin iranien de 1980 à
1988 dont le début a suivi l’arrivée du dictateur
Saddam Hussein au pouvoir. A la frontière des deux
nations devenues ennemies se trouve la région du
Kurdistan dont les habitants en proie aux mauvais
traitements des dirigeants irakiens se sont trouvés enrôlés
bien malgré eux dans la guerre Iran-Iraq.
Pour son quatrième film, le réalisateur
Hiner Saleem d’origine kurde exilé en France a
choisi de traiter à travers le destin d’un homme et
sa famille la situation kafkaïenne de ce peuple. Cet
homme, c’est Ako, jeune kurde qui ne rêve que de
quitter son pays en compagnie de sa femme Selma et de
son fils, mais ce projet ne peut être mené à bien car
le père de Selma, vieillard malade et constamment alité,
refuse de partir et Selma refuse de l’abandonner.
Situation inextricable qui empêche tout exil et ne
permet pas à Ako d’échapper à son enrôlement de
force dans l’armée de Saddam Hussein. En quelques scènes
au burlesque teinté de tragique, Hiner Saleem
dresse un réquisitoire sans concessions de la folie des
hommes et de l’absurdité de toutes les guerres. Alors
que les bombes pleuvent sur leur camp situé au milieu
de nulle part, un officier gueulard et sadique impose à
ses hommes un continuel va-et-vient entre repos et
garde-à-vous. Pour Ako, la seule échappatoire possible
est d’être blessé et démobilisé. Aussi au fond des
tranchées bombardées expose t-il tour à tour sa jambe
droite ou gauche – il ne sait laquelle sacrifier -
dans le délirant espoir qu’elle lui soit arrachée. Là
aussi on frôle le non-sens le plus fou, le plus dérisoire
et donc le plus cruel.
Mais Ako va être réquisitionné
pour assurer le transport d’un soldat mort à travers
le pays en compagnie d’un chauffeur irakien. Ce long périple
qui traverse le pays du Sud au Nord et autant de
paysages magnifiques constitue la majeure partie de Kilomètre
zéro. Un kurde, un irakien enfermés pendant trois
jours dans une voiture portant sur son toit le cercueil
d’un soldat martyr, la situation est pour le moins détonante
et ouvre la porte à tous les conflits entre les deux
hommes. Ce qui ne manque pas de se produire avec là
encore un traitement ironique. Ainsi tour à tour le
curieux équipage n’a t-il pas l’autorisation
d’emprunter les routes réservées aux convois
militaires – et se retrouve à rouler sur des pistes défoncées
– ni celle de traverser les villages de crainte de démoraliser
le peuple au passage de tous ces cercueils.
Décidément Ako a bien des
soucis avec les corps allongés, que ce soit celui de
son beau-père très récalcitrant ou celui de ce martyr
à l’origine d’un voyage fastidieux.
Kilomètre zéro est de
facture classique et ne renouvelle pas, loin s’en
faut, le genre de plus en plus pratiqué du road-movie.
On sait combien la question kurde est au centre de l’œuvre
du réalisateur de Vodka lemon. La dernière scène
du film est à cet égard significative : en 2003
quelque part à Paris, Selma et Ako poussent des
hurlements de joie à l’annonce du renversement du régime
de Saddam. Cette explosion de bonheur de deux exilés
qui semblent crier dans le vide à des oreilles sourdes
éclaire le seul aspect positif de l’invasion américaine
en Irak : la libération d’un peuple oppressé,
trouvant sa planche de salut dans la pratique d’un
humour noir et grinçant. Le père de Selma, interprète
des propres paroles du grand-père du cinéaste, avait
coutume de résumer ainsi la situation de ses
compatriotes : « Notre passé est triste,
notre présent est tragique, mais heureusement nous
n’avons pas d’avenir ». L’humour comme
aide à survivre, c’est aussi ce que distille Kilomètre
zéro. Cette dérision traverse tout ce petit film
à découvrir.
Patrick
Braganti
Film
Irakien – 1 h 36 – Sortie le 14 Septembre 2005
Avec Nazmi Kirik, Eyam Ekrem, Belcim Bilgin
>
Réagir
sur le forum cinéma
|