La
blessure
de Nicolas
Klotz
[5.0]
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Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes
en 2004, il a fallu attendre une année pour voir La
Blessure débouler sur quelques écrans provinciaux
après s’être contentés – c’est déjà pas si
mal – de la version télé diffusée par Arte en
avril. Patience aujourd’hui récompensée par la découverte
d’un film-fleuve, indéniablement politique et
personnel, qui fait d’ores et déjà partie des
meilleurs de 2005.
Dans un squat sordide, le portable de Papi sonne et le
tire de son sommeil avachi sur un lit miteux. A
l’autre bout, c’est Blandine qui l’appelle de
Roissy pour le prévenir de son arrivée du Congo. Papi
part aussitôt la chercher mais la Police de l’Air et
des Frontières refuse d’entendre sa demande
d’asile, ainsi que celle d’autres arrivants. Lors
d’un retour à l’avion pour un embarquement musclé,
Blandine est blessée à la jambe. Enfin libre, elle échoue
dans le squat où elle sombre dans l’apathie et le
silence.
La
trame simple et linéaire du dernier film de Klotz
ne peut en aucune manière rendre compte de l’expérience
de cinéma que constitue La Blessure. Une expérience
qui réclame de la part du spectateur effort et
attention. Mais pourquoi le cinéma devrait-il être
facile et un tel sujet peut-il être traité avec légèreté
et putasserie ?
Ecrit
en collaboration avec Elisabeth Perceval, La
Blessure est née sous une double paternité :
d’une part la lecture de L’intrus de Jean-Luc
Nancy – dont Claire Denis vient aussi de s’inspirer
– et d’autre part une série d’entretiens répétés
et fouillés, rendus possibles par la confiance et
l’empathie établies avec des demandeurs d’asile.
A
partir de ces matériaux, Klotz et Perceval
ont écrit une fiction en total rapport avec le réel
sans volonté de faire un film réaliste ni d’en
rajouter dans le misérabilisme ou le voyeurisme. La caméra
sait conserver une distance respectueuse vis-à-vis des
personnages. Le dépouillement et la distanciation
deviennent ici une éthique jamais reniée.
Tournée
en longs plans-séquence, La Blessure comme
l’explique Perceval est aussi « un
travail sur la perception des présences, la rencontre
de deux mondes : ceux qui ont des droits et ceux
qui n’en ont pas ». Les policiers et les
douaniers de Roissy chargés d’appliquer les règles
ne sont pas des extra-terrestres, mais des hommes et des
femmes au service d’une machine administrative organisée
qui induit sous couvert d’une neutralité apparente
une extrême violence à l’encontre des demandeurs
d’asile. Une sensation que les salles grises et
anonymes éclairées au néon d’une annexe de l’aéroport
accentue davantage.
Après
la tension palpable et l’incertitude angoissante de
Roissy, La Blessure, à la sortie de Blandine
ralentit en optant pour l’étirement du temps. C’est
le temps du demandeur d’asile, « un temps
suspendu, celui de l’exil qui s’étire dans
l’attente, où le corps s’engourdit avec le risque
de disparaître ». Dès lors la longueur du
film et la fixité de ses plans aident à la restitution
de l’allongement temporel. Nicolas Klotz évoque
ses plans comme « une demeure, un asile »
et enchaîne en arguant que « l’immobilité
peut aussi être une forme de jouissance ».
Les
dialogues et les bavardages sont ici ténus, seuls sont
privilégiés les monologues dont l’écriture a servi
pour Elisabeth Perceval d’armature sur laquelle
enchâsser l’histoire entière. Ces monologues à la
forme précise sont pour Blandine et d’autres des
confessions ou des dépositions faites d’abord à
eux-mêmes et érigent la verticalité de la parole en
opposition à l’horizontalité des corps fatigués et
abîmés. C’est ce qui permettra aussi à Blandine aux
quatre cinquièmes du film de retrouver le sourire.
Refusant
de se considérer comme des militants, le cinéaste et
sa scénariste donnent à voir un film politique par sa
forme. Leur démarche exigeante et cohérente est celle
de l’appropriation de témoignages et de faits en vue
d’en donner une représentation personnelle et
artistique, et pas revendicatrice ou dénonciatrice. Ce
n’est pas leur but même si bien sûr le choix du
sujet n’est pas innocent. On a déjà vu chez
d’autres artistes cette approche-là comme François
Bon et son roman Daewoo.
Plus
encore que le constat terrible d’une France oublieuse
de sa réputation de terre d’accueil, devenue sourde,
qui blesse, expulse et humilie en toute impunité,
c’est la forme utilisée par Klotz et Perceval
qui range La Blessure dans la catégorie des
grands films. Dans laquelle on a déjà placé, et pour
les mêmes raisons, Le cauchemar de Darwin il y a
quelques semaines.
Patrick
Braganti
Film
français – 2 h 40 – Sortie le 6 Avril 2005
Avec
Noëlla Mobassa, Adama Doumbia, Matty Djambo
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