cinéma

La demoiselle d'honneur de Claude Chabrol 

 

 

    Quel gentil garçon ce Philippe !!! Très attentionné auprès de sa maman veuve, Christine qui le lui rend bien en le gratifiant régulièrement d’un « tu es beau comme un astre » et qu’il accepte d’accompagner en visite chez son prétendant, le mal-nommé Courtois ; bien vu de son patron qui l’envoie calmer les clientes récalcitrantes et grincheuses ; grand frère protecteur auprès de ses deux sœurs en paternel substitutif. C’est vrai, on lui donnerait facilement le bon Dieu sans confession à ce Philippe qui vit encore chez maman, qui mène une vie bien terne et plate.

Jusqu’au mariage de sa sœur où il fait la connaissance de la fantasque et changeante Senta, une cousine éloignée du marié. Et très éloignée aussi de l’univers de Philippe. La mystérieuse Senta dévoile une vie agitée faite de voyages, d’expériences de cinéma et de familles brisées. Très vite, le doute s’installe chez Philippe : est-elle folle, mythomane, joueuse ? Vivant au sous-sol d’une grande maison à moitié abandonnée, elle jette son dévolu passionnel sur le tendre Philippe à qui elle impose quelques défis pour entériner leur passion naissante et dévorante.

 

    C’est la seconde fois que Chabrol adapte un roman de Ruth Rendell pour le cinéma et comme ce fut déjà le cas pour La Cérémonie en 1995, le résultat est à la hauteur des espérances. Le réalisateur prolifique, spécialisé dans l’analyse clinique et satirique de la bourgeoisie grande ou petite, signe cette année un opus alléchant et emballant.

Une réussite qui est à mettre au double actif d’un scénario bien ficelé et d’une création d’atmosphère remarquable, aidée en cela par une interprétation aux petits oignons.

Même si l’intrigue est mince et sa résolution vivement expédiée par Chabrol, celui-ci entretient toutefois le suspense dans un climat hitchcockien renforcé par l’emploi d’une caméra aérienne, qui capte ouvertures de portes et montées d’escaliers.

Encore une fois, la force majeure du film est la mise en scène d’une ambiance étrange et d’un décorticage acide et enlevé d’un milieu petit-bourgeois et provincial. Curieusement, malgré quelques détails comme les voitures ou les mobiles, le film fait presque daté : aussi bien dans les vêtements que les intérieurs, on se croit revenu vingt-cinq ans en arrière. Avant que l’histoire ne se resserre sur Philippe et Senta, Chabrol s’en donne à cœur joie, notamment dans la scène tordante du mariage, reprenant avec délectation et ironie mordante tous les tics d’une telle cérémonie : larmes, chanson du beau-père, pièce montée et tutti quanti….

 

    Comme d’habitude, rien n’est ici négligé. Chaque personnage, y compris les seconds, apporte sa contribution à l’histoire. D’Aurore Clément à Suzanne Flon, en passant par Bernard Le Coq et Michel Duchaussoy, le réalisateur s’est adjoint une belle brochette d’acteurs confirmés, utilisés à contre-emploi ou pour un court instant.

Dans le rôle de Senta, la jeune Laura Smet qui a pourtant accepté de paraître ingrate ( avec quelques kilos en plus) n’est pas totalement convaincante. Sachant préserver sa pudeur en ne surexposant pas sa plastique, elle offre un registre un peu trop monolithique et pas assez subtil.

En face d’elle, en revanche, Benoît Magimel qui incarne Philippe est prodigieux de candeur innocente et de perversion affichée. Depuis La Pianiste, on sait combien sa fraîcheur angélique peut se doubler d’une perversité ambiguë. Sa tête juvénile juchée sur un corps musclé d’homme où étonnement et détermination cohabitent tour à tour fait de Philippe un innocent aux mains pleines méchamment excitant.

 

    On est donc ravis de constater qu’en 2004 le bonhomme et truculent Chabrol n’a rien perdu de sa verve caustique ni de son regard acéré en nous offrant la compagnie d’une Demoiselle d’honneur vénéneuse à souhait, emprisonnant dans sa toile un jouvenceau propret en manque d’exotisme dans un jeu de pistes délectable.

 

Patrick Braganti

 

Français – 1 h 50 – Sortie le 17 Novembre 2004

Avec Benoît Magimel, Laura Smet, Aurore Clément