cinéma

La fiancée syrienne de Eran Riklis     

 

 

    Pour Mona, c’est le grand jour ou plutôt ça devrait être le grand jour : celui de son mariage, de la belle robe blanche, du passage chez le coiffeur et devant le photographe et de la fête avec la famille au grand complet. Mais Mona est triste car ce mariage l’angoisse pour plusieurs raisons. D’abord, elle n’a vu son futur qu’en photo ou mieux à la télé où il est un piètre acteur de feuilletons de seconde catégorie. Ensuite parce que cette union va la séparer à tout jamais de sa famille. En effet, nous nous trouvons dans un village du plateau du Golan, occupé et annexé par Israël. Or le marié est syrien, habitant à Damas. Le passage de la frontière pour Mona sera un aller sans retour possible, mais il est aussi aux yeux de sa famille une formidable promesse d’un horizon plus radieux pour la jeune fille.

 

    Une famille réunie pour l’occasion, et qui se révèle pas mal désaccordée. Si Amal est une sœur aînée pleine de sollicitude envers sa cadette, les deux frères sont eux absents du village. Marwan , fanfaron et hâbleur, rentre d’Italie où il mène des affaires mystérieuses et douteuses. Et Hattem revient de Moscou avec sa femme et son fils où il vit depuis huit ans, un exil que son père Hammed ne lui a jamais pardonné. Les retrouvailles qui ont lieu le jour même de l’accession au pouvoir de Bachar El Assad ne se passent pas dans l’ambiance la plus sereine.

D’abord centré sur les déchirements de la famille de Mona et circonscrit au village, le film se déplace ensuite dans ce curieux no man’s land qui marque le passage entre Israël et la Syrie. C’est là qu’est venu attendre le futur mari en compagnie de ses amis et de sa propre famille. Le ton dramatique qui a prévalu jusqu’alors fait soudain place à celui de la comédie lorgnant vers l’absurde et le kafkaïen. Pour passer la fameuse frontière, le passeport de Mona doit être tamponné d’un cachet délivré par un fonctionnaire dépêché tout exprès de Jérusalem. Le changement récent du cachet en question va provoquer une cascade de quiproquos et de négociations. Cette partie-là burlesque et tragi-comique n’est pas sans rappeler l’univers de Intervention Divine.

 

    La fiancée syrienne est une excellente surprise tant on est charmés par l’intelligence de son propos et la teneur même de sa mise en scène. Eran Rikils, cinéaste israélien, évoque ici une culture qui n’est pas la sienne à proprement parlé. Il avoue lui-même que son film aurait aussi bien pu se dérouler en ex-Yougoslavie ou en Irlande du Nord. L’idée étant ici de dépeindre une situation dramatique qui dépasse largement les contours d’une région.

Le film touche donc à l’universel ce qui constitue sa force. Il est aussi à la gloire des femmes. Ce sont bien elles qui négocient, pactisent pour avancer et contrer la rigidité imbécile des hommes. Ainsi, Amal va quêter auprès d’un policier intraitable la permission d’emmener son père, ex-prisonnier des Israéliens, à la frontière. Et c’est Jeanne, jeune française membre de la Croix-Rouge, qui négocie entre l’agent de Jérusalem et l’officier syrien. On tient là de beaux portraits de femmes, au premier rang desquels l’émouvante Amal, en voie de libération.

Dans cet endroit impossible de quelques mètres carrés, Riklis brasse une kyrielle de personnages et une multitude de langues. Sur cette terre battue qui devient une scène, ceux-ci déambulent et composent un ballet étrange, en perpétuel mouvement.

 

    Il y a beaucoup de bonheur à regarder ce film subtil et profond, où se mêlent larmes et rires. Porteur d’espoir et généreux, La fiancée syrienne, plus qu’une métaphore du conflit du Moyen-Orient, se révèle également dans ses dernières images une apologie de la liberté et d’une possible réconciliation. L’espoir est permis.

 

Patrick Braganti

 

Film israélien – 1 h 36 – Sortie le 9 Mars 2005

Avec Clara Khoury, Makram Khoury, Hiam Abbass

 

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