C’est
une histoire belge, plus précisément liégeoise,
mais elle n’est pas très drôle, ou si peu, de
cet humour ultime comme politesse de désespoir.
Elle pourrait sembler sordide cette épopée
tragique de trois chômeurs rejoints par un
ouvrier de l’usine d’embouteillage locale,
juste sorti de prison pour attaque à main armée,
qui décident de monter un hold-up, pour ramasser
un bon paquet d’argent bien sûr, mais pas
seulement : pour redonner un sens à une vie
brisée, recouvrer un peu de fierté et de dignité.
Alors oui c’est noir et d’un pessimisme
poisseux, mais c’est aussi une magnifique leçon
de vie, celle d’hommes bien décidés à vivre
debout.
Jean-Pierre,
Robert et Patrick, les trois exclus du système,
sont chacun à leur manière abîmés par la vie :
les deux premiers, les plus âgés, ont été virés
de leur usine où ils ont passé plus de trente
ans à des tâches harassantes et aliénantes où
l’un y a laissé ses jambes et l’autre sa
famille. Solitaires et solidaires, ces deux-là épaulent
et protègent tels des pères putatifs le jeune
Patrick, bardé de licences, mais sans boulot
fixe, trimballant une culpabilité inavouée et
pernicieuse à voir sa femme Carole s’esquinter
dans un travail répétitif et abêtissant à la
laverie industrielle, se réfugiant dans l’éducation
tendre et professorale de son fils Steve et la
culture méticuleuse de son petit potager.
Lorsque
la Mobylette de Carole tombe en rade, et que le
jeune couple ne peut s’offrir le luxe d’en
racheter une autre, obligeant ainsi celle-ci à se
rendre à l’usine en bus, l’idée du braquage
germe dans l’esprit de Jean-Pierre et de Robert,
qui demandent conseil et aide à Marc, le taulard
avec qui ils ont sympathisé.
Le
destin est en route, fruit de rencontres et de
circonstances hasardeuses, dans une inexorabilité
tragique et fatale que le spectateur percevra sans
doute bien avant les protagonistes de ce film âpre
et rageur, qui tient à la fois du thriller et du
drame social, mettant en scène – et ce n’est
pas si courant – une classe ouvrière exsangue
et laissée-pour-compte. En quelques scènes, le
cinéaste établit un parallèle entre le monde du
travail déshumanisé (bruits, tâches répétitives,
solitude même) investi par Marc et Carole et
l’univers des trois chômeurs, réunis à la
table du café pour des parties de cartes endiablées,
dernier rempart avant la déchéance finale –
Robert trouve déjà une piètre consolation dans
l’alcool et Jean-Pierre, plus affûté et
sensible, se pose la question de ce qui lui reste
à vivre.
L’absence
de perspectives et le sentiment de ne plus avoir
rien à perdre dopent les apprentis braqueurs qui
mettent au point avec précision et cocasserie
leur forfait. La Raison du plus faible, démarré
comme un film social, se mue petit à petit en
polar sec. On était restés sur la trilogie de Lucas
Belvaux : unité de lieux et de
personnages pour trois genres différents et son
nouveau film donne un peu l’impression de réunir
le drame de Après la vie et le thriller de
Cavale. Il y a d’ailleurs bien des
similitudes entre les personnages joués par Lucas
Belvaux dans les deux films.
A
coup sûr, perdure ce talent à faire passer sur
un écran la rage et la colère d’un cinéaste
qui traite ses personnages avec infiniment de
tendresse et de respect. Et tant pis s’il
choisit une fin un peu trop symbolique et américanisée,
Marc transformé en héros solitaire et
bienfaisant.
Patrick
Braganti
Drame
français – 1 h 56 – Sortie le 19 Juillet 2006
Avec
Lucas Belvaux, Eric Caravaca, Natacha Régnier,
Patrick Descamps, Claude Semal
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