cinéma

Last days de Gus Van Sant 

[2.0]

 

 

Contre 

 

    Last Days est arrivé sur les écrans précédé d’un énorme désir cinéphile que des rumeurs très laudatives ont largement nourri. Pour le spectateur, le film se transforme en objet fantasmé et la découverte dudit objet prouve l’inadéquation éternelle entre le rêve et la réalité. En clair, il apparaît difficile de ne pas être déçu – déception induite par le décalage - par Last Days, d’autant plus qu’il clôt une trilogie dont les deux premiers volets nous avaient procuré un rare bonheur, plaçant du coup la barre très haut pour le dernier opus. Pour tenter l’objectivation, il faut bien sûr analyser Last Days en tant qu’œuvre seule dégagée de son contexte mais aussi le resituer au sein du triptyque.

 

     Gerry réussissait le tour de force magistral de construire un huis clos au cœur d’un désert immense. Déjà dépouillé, peu bavard, Gerry valait surtout pour la beauté à couper le souffle de ses plans et pour l’étude psychologique très fine parce que jamais soulignée des rapports en inversion des deux protagonistes.

Librement inspiré de la tuerie de Columbine, Elephant transformait un fait divers tragique en une ode à l’adolescence, conjuguant à merveille évanescence et poésie dans une architecture audacieuse et esthétique au service du propos.

Dans les deux cas, l’absence de point de vue de la part de Gus Van Sant et la possibilité laissée au spectateur d’établir sa propre vérité renforçaient encore l’impact et la singularité des films. La Palme d’Or récoltée en 2003 était amplement méritée.

 

     Avec Last Days, Gus Van Sant tient pourtant le sujet le plus fort : imaginer les  journées ultimes de la vie d’un jeune mec dénommé Blake dans une grande maison délabrée. Une histoire qui prend son origine du côté de Kurt Cobain, pote assez lointain du réalisateur. Tout comme dans Elephant, l’élément initial est accessoire et prétexte à une variation personnelle de Van Sant. Jusque là c’est parfait et estimable : de quel droit le cinéaste prétendrait-il connaître et infiltrer les pensées morbides de son personnage ? Le film se déploie en une juxtaposition de fragments de ces dernières heures où Blake erre à l’extérieur et à l’intérieur, tentant de manger, grognant des borborygmes inaudibles, à côté de plusieurs personnes parasites qui se foutent de Blake comme d’une guigne. On retrouve là la notion de la solitude et de l’incommunicabilité, commune aux trois films.

Par ces morceaux épars qui constituent une sorte de puzzle que le spectateur encore une fois organisera selon son imagination, Van Sant veut donner à voir et à ressentir l’effacement progressif d’un être mal en point – Blake vient de s’échapper d’un centre de désintoxication. Comme si Blake se gommait lui-même pour disparaître à sa vue et à celle des autres. C’est pourquoi la part d’ombre demeure sur la disparition de Blake. Suicide ou mort « naturelle » provoquée par l’impossibilité viscérale à faire partie du monde ? La différence ténue est loin d’être négligeable entre déterminer sa mort et se laisser mourir.

 

    On ne peut pas aimer Last Days si on ne ressent pas quelque chose pour ce jeune mec déboussolé dont on se doute bien qu’il n’est pas au top de sa forme. Passées les dix premières minutes grandioses où Blake vadrouille dans une nature luxuriante formant une cage autour de lui (cascade et forêt), le charme s’estompe à son entrée dans la maison. Laquelle n’est pas réellement mise à profit. Dès lors Last Days ne fonctionne plus : le sort de l’évaporé blondinet nous devient de plus en plus indifférent. La lente et inexorable dérive de Blake est entrecoupée de scènes surréalistes, parfois drolatiques, souvent sans grand intérêt si ce n’est de marquer davantage la brèche se creusant entre Blake et les autres.

Il est étonnant de constater que la caméra toujours virtuose de Van Sant se tient à bonne distance de Blake, hormis deux ou trois scènes. C’est peut-être cet éloignement – voulu ou pas – qui provoque le nôtre. Si tel est le cas, l’idée que le film pourrait s’effacer en même temps que son personnage permettrait de jauger Last Days autrement : une parabole de la renonciation et de l’éclipse. Le doute persistant n’a pas fini de diviser le public .        

Entendons nous bien : Last Days reste un bon film dont la bande-son exceptionnelle – pas seulement les morceaux composés par Michael Pitt, mais tous les bruits entendus souvent incongrus - et la mise en scène maîtrisée font de Gus Van Sant un réalisateur toujours aussi doué et captivant. On nous permettra nonobstant de ne pas le mettre sur le même piédestal que Gerry et Elephant. Le procédé atteint ses limites et frise l’exercice de style dont l’extrême dépouillement révèle l’incapacité de son auteur à le transcender ; il est grand temps pour l’homme de Portland de passer à autre chose.

 

Patrick Braganti

 

> Last Days (Pour)

Film américain – 1 h 37 – sortie le 13 mai 2005

Avec Michael Pitt, Lukas Haas, Asia Argento...

 

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