L'avion
de
Cédric Kahn
[4.0]
|
|
|
|
On évitera de réduire l’enfance à un corpus de
sentiments-guimauve, de plages sucrées noyées sous les
violons de Gabriel
Yared, de jolies intentions. On préférera plutôt
cette définition qui colle : l’enfance comme
simplification des enjeux, ce qui d’emblée implique
une vague idée de complication ou de complexification
de ces mêmes enjeux (qu’il faudra du reste définir)
hors de son champs, disons à l’âge adulte.
On
notait curieusement il y a peu, au sujet de La
guerre des mondes, cette lucidité d’instinct
planquée dans le tréfonds (ou l’âme) du jeune âge.
Ce que la petite Rachel y observait médusée d’abord
puis vite lucide tenait de l’hystérie humaine en son
stade adulte avancé.
Nulle
volonté pourtant de réduire les potentialités de
l’humain à une dichotomie purement manichéenne où
le mal adulte s’opposerait à l’enfant bienveillant.
Par
simplification des enjeux, il faut entendre l’appréhension
limpide et spontanée de faits bruts comme des diamants
non taillés, non dopés aux concepts, aux calculs, à
l’interprétation –interpénétration- sociale si spécifique
des « grandes personnes ». Ces enjeux :
cruauté, méchanceté, plaisir, tristesse, haine,
amour, désir. Tout dans les premières années se vit
sans filtre, s’exprime presque sans limite, se dit
comme se ressent.
Impossible
de comprendre le mode de fonctionnement de cet Avion sans garder ces préceptes bien présents à l’esprit. Filmé
au ras des pâquerettes à la suite de son petit héros
(Roméo Botzaris excellent
de pudeur courageuse) ou la tête dans les nuages, sur
le dos de l’avion éponyme, il tente d’épouser la
perspective déraisonnable d’un orphelin récent dans
ce que la psychanalyse qualifierait, justement, de
travail de deuil. Traduction pré-teen
age : sa minuscule silhouette dans l’énorme
forêt de fougères, à l’affût du père mort. Rêve ?
Réalité ? Réalité rêvée ? On ne tranche
pas ; le conte de fées a les allures d’un Capra
percé de fantastique.
Rien
d’ailleurs ne justifie (sinon une improbable pierre égyptienne)
l’existence de cet avion magique doué de qualités
stupéfiantes et, surtout, d’une intelligence
sensible, a priori infaillible. Les militaires vacillent
dans leurs bases : incassable ! Unbreakable
dirait Bruce
‘superhéros’ Willis nous tirant par la manche
du côté de chez M.
Night Shyamalan.
Mais
l’ombre gigantesque (et Shyamalan,
fervent admirateur, nous y conduit aussi) déjà citée
plus haut, c’est Spielberg
et son ET, ici copié, répété, cité à tour de bras sans aucune gêne
et avec un culot d’abord surprenant mais qui finit par
emporter l’adhésion. Image around
the world : Elliot s’envole en vélo sur fond
de pleine lune californienne ; image-symbole, money-image
surrutilisée par le Spielberg
producteur comme fer de lance de ses vastes entreprises
cinématographico-financières. Reprenant la scène, Cédric
Kahn la réinvente en même temps qu’il inscrit de nouveau ET
dans le domaine du cinéma pur, avec cet accent supplémentaire
d’un avion (symbole terroriste par excellence), ami.
Le
cœur de la cible se situe bien là, dans l’hommage de
Kahn à ses propres Rosebud –
Spielberg
donc, mais aussi Truffaut,
Saint-Exupéry, Hitchcock
ou le cinéma bis – témoins et passeurs d’une
enfance malgré tout (le reste, et ce qu’on ignore de la vie privée du réalisateur
par exemple). Une fuite éperdue en somme, à travers
les mailles du filet-contrôle, les mitraillettes et les
bottes, comme cette longue chevauchée nocturne en vélo,
ou l’évasion d’un Blockhaus surprotégé.
Dans
la France des campagnes privilégiées -famille aisée,
bonne portugaise- un
miracle inattendu a lieu. Ni Gameboy,
ni téléviseur évangile mais un improbable territoire
où la magie – imaginaire concret éprouvé - peut
encore opérer. Le grand formatage des esprits aura
ensuite la redoutable tâche d’opérer contre une résistance
active et souple, cette complexion ouverte qui autorise
tous les excès (scène finale très appuyée) comme
autant de voies d’exploration d’un esprit vierge,
nourrit au lait de la fiction et du récit – les plus
vieilles traditions du monde.
Christophe
Malléjac
Film
français – 1 H 40 – Sortie le 20 Juillet 2005
Avec
Roméo Botzaris, Isabelle Carré, Vincent Lindon
>
Réagir
sur le forum cinéma
|