Le
bois lacté de Christoph
Hochhausler
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Dans un large plan fixe, sur une route bizarrement
gondolée en plein milieu d’une campagne déserte,
deux enfants apparaissent en bas à gauche.
Manifestement, ils sortent de l’école car ils portent
des cartables. Il s’agit de Léa et Constantin, la
grande sœur et son petit frère qui est en plein
apprentissage de lacets et retarde toujours cette marche
solitaire. Jusqu'à ce qu’une voiture surgisse et
freine, embarquant les deux mouflets. Au volant, c’est
Sylvia que l’on pense d’abord être la mère, mais
qui n’est en fait que la nouvelle compagne de leur père.
La voiture roule vite pendant des kilomètres à travers
des paysages déserts et guère folichons, passe une
frontière, entre en Pologne. Sylvia fait sortir les
deux gamins de l’auto, entre dans un bois, repart chez
elle, perdant volontairement Léa et Constantin
qu’elle n’apprécie pas. Le père à son retour part
à leur recherche tandis que la sœur et le frère
rencontrent un drôle de zigoto dans une vieille
camionnette qui les prend en charge.
Si cette histoire d’enfants abandonnés par des
parents en pleine forêt vous rappelle vaguement quelque
chose, c’est bien normal puisque le premier film de ce
jeune réalisateur allemand est une adaptation du conte
des frères Grim : Hansel et Gretel.
Ce
que Hochhausler parvient à parfaitement
restituer de l’univers des contes, c’est leur caractère
étrange, déroutant, absolument pas logique ni cartésien.
En effet, nous sommes ici dans un film très singulier,
se rapprochant avec brio des meilleurs films
fantastiques, érigeant un cousinage lointain et
respectueux avec Hitchcock. C’est surtout
Sylvia, femme apathique et indolente, parfaite héroïne
bergmanienne, qui insuffle l’angoisse et
l’oppression. Dans un rôle quasiment muet,
spectatrice détachée comme dénuée de tous
sentiments, si ce n’est un attrait physique quasi
compulsif pour son compagnon, elle hante le film d’un
regard glacial et introverti, renfermant peut-être les
explications de son acte. Nous suivons parallèlement
les enfants en Pologne dans des endroits de fin du
monde, comme cet hôtel désaffecté et désert, des no
man’s land magnifiés par la nature, créant ainsi une
filiation évidente du réalisateur avec son compatriote
Wenders et l’autrichien Haneke.
Le film est constitué de longues plages silencieuses,
qui réduisent souvent l’action au minimum. Ce qui ne
génère aucun ennui, mais tend au contraire à créer
une ambiance, laquelle est entretenue et mise en relief
par une musique on ne peut plus appropriée. L’œuvre
de Benedikt Schiefer, jeune musicien munichois,
créée pour l’occasion et auréolée du prix de la Création
Musicale au dernier festival Premiers Plans d’Angers,
traversée de stridulations et de ruptures, habille
superbement les images. La maison moderne et inachevée
(pas de papiers peints, peu de meubles) dans laquelle
vivent Sylvia et se famille, symbole d’un avenir plein
de promesses selon les propos du cinéaste, apporte elle
aussi sa contribution à l’étrangeté.
A l’opposé du consensuel et surestimé Good Bye Lénin,
Le bois lacté, par sa cohérence et son ambition
formelle, marque plus certainement le renouveau du cinéma
germanique et révèle un cinéaste prometteur et
original. Ce film, dont on regrettera une fois encore la
diffusion discrète, est à voir en priorité tant il
est un électron libre mais maîtrisé dans le paysage
actuel.
Patrick
Braganti
Allemand
– 1 h 27 – Sortie 4 Août 2004
Avec
Judith Engel, Sophie Conrad, Miroslaw Baka
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