Le
grand voyage de
Ismaël
Ferroukhi
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Parce que son grand frère s’est fait arrêter et
priver de permis de conduire, c’est Réda qui est réquisitionné
par son père pour le conduire en voiture de Marseille
à La Mecque pour un pèlerinage auquel il tient
beaucoup. Mais, Réda n’est pas très emballé de
devoir quitter son lycée où il repasse son bac et sa
petite amie Lisa.
Mais
pas question de s’opposer à l’autorité paternelle
et aussitôt la vieille 405 break rafistolée, le père
et le fils prennent la route pour un grand voyage
semé d’embûches et de contretemps. Car à défaut de
pouvoir partir à pied ou à cheval, il n’est pas
envisageable un seul instant que le voyage se fasse par
bateau ou par avion. Une fois quittés l’Italie, ils
traversent des pays marqués par les stigmates de la
guerre, la misère et le poids grandissant de la
religion musulmane. Après la Croatie, la Serbie et la
Bulgarie, ils parviennent par des chemins détournés en
Turquie où l’aide providentielle d’un homme hâbleur
et envahissant leur permet de passer la frontière et de
poursuivre vers l’Asie dans des paysages de plus en
plus désertiques jusqu’à l’arrivée en Arabie
Saoudite.
Sorte de huis clos en mouvement, le film fonctionne sur
l’opposition de deux personnages. Seul le lien
familial relie ces deux hommes que la culture, la langue
et la génération séparent, instituant entre eux un
« fossé creusé davantage par leur statut
d’exilés ».
La
roublardise, la détermination têtue,
l’intransigeance et l’opiniâtreté inflexibles du père
font face à la naïveté, la curiosité, l’incompréhension
et le matérialisme de Réda, L’un semble incarne l’Orient,
l’autre l’Occident. Mais ni l’un ni l’autre sont
tout noir ou tout blanc, ce qui est une des qualités
majeures du film. L’avancée dans le périple et la
confrontation aux paysages grandioses les éloignent au
fur et à mesure de leurs repères et les contraignent
à se débarrasser de leur statut respectif.
Comme
dans tout voyage, la notion d’initiation prédomine.
Ici elle est mutuelle. Comme le confie le réalisateur,
« le père et le fils sont deux points qui
finissent par se rejoindre. Ils découvrent ce qui les sépare,
mais aussi ce qui les rapproche ».
L’intensité
des regards et la signification des attitudes physiques
privilégient les silences et réduisent au minimum les
dialogues. On voit d’ailleurs dans les différents
pays traversés que ceux-ci ne sont pas toujours nécessaires,
comme lors de cette rencontre surréaliste au bord de la
route avec une vieille serbe dont la détresse muette et
combattive trouvent une résonance chez le père.
Le jeu de Nicolas Cazalé – jeune acteur
prometteur découvert chez Gaël Morel –
restitue parfaitement toutes les variations et
contradictions de son être. D’abord boudeur et fermé,
son visage s’éclaire et ses yeux s’illuminent dans
ce voyage vers l’acceptation de l’autre et de soi.
Quant
à Mohamed Majd, acteur marocain, il ne joue pas,
il est ce père buté, replié sur ses convictions et
ses principes, capable de jeter le téléphone de son
fils, de donner un billet à une mendiante alors
qu’ils n’ont presque plus rien pour manger.
Justement
récompensé du Prix du Meilleur Premier Film à Venise
cette année, Le Grand Voyage est aussi une réflexion
sur la communauté musulmane trop souvent dépeinte
« pacifique et tolérante ». Cet
objectif de « vouloir réhumaniser [une
population] entachée par une extrême minorité qui
utilise la religion à des fins politiques »
vient renforcer sans la plomber cette belle histoire de
reconnaissance et de réconciliation.
Patrick
Braganti
Franco-marocain
– 1 h 48 – Sortie le 24 Novembre
Avec
Nicolas Cazalé, Mohamed Madj
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