cinéma

Le plein de super de Alain Cavalier   1/2

 

 

    Sorti pour la première fois voici presque trente ans, globalement boudé par une critique cul serré et peu suivi par le public de l’époque, Le Plein de super a droit cette année à une seconde jeunesse, grâce au distributeur Rézo Films qui tomba amoureux du film dans les années 90 et promit à Cavalier de le ressortir.

 

    Le réalisateur de Thérèse conçoit, après sept années d’inactivité et de manque d’inspiration, un projet un peu fou et foutrement séduisant. En effet, l’écriture du scénario de son nouveau film sera le fruit de sa collaboration avec ses principaux acteurs qu’il réunit chez lui pour des séances de délire créatif, aboutissant à ce road-movie tendre et déjanté.

Réquisitionné malgré lui par son patron, Klouk piètre vendeur d’autos (Bernard Combrey) est chargé d’acheminer un break Chevrolet des corons du nord jusqu’à Cannes. Sacrifiant le week-end prévu avec sa femme, il se console en embarquant dans son périple son pote Philippe célibataire et infirmier (Xavier Saint-Macary, aujourd’hui disparu). Sur une aire d’autoroute, leur chemin croise celui de Charles (Etienne Chicot). Lors d’une escale parisienne, se joint au trio Daniel (Patrick Bouchitey), co-locataire chômeur et bricoleur de Charles.

Les deux paires d’abord mal associées se rapprochent au fur et à mesure des kilomètres, partageant de francs moments de rigolade, mais aussi des épisodes plus intimes et plus douloureux. Ce qui est la caractéristique fondamentale de l’amitié, surtout masculine, car cela saute aux yeux : ces quatre-là se sont trouvés et reconnus à travers leurs galères et leurs points de vue.

Bien sûr, le film a forcément vieilli par son aspect formel : entre les vêtements, les cheveux longs, les voitures qui circulent et les endroits traversés, beaucoup d’éléments datent Le Plein de super. Impression nullement gênante, pas de soupçon qu’il y ait ici l’intention de surfer sur la mode vintage du moment.

A l’inverse, le fond n’a pas pris une seule ride et semble même d’une actualité folle. Si l’on commence à entendre parler de chômage, de patrons despotes, on se rend également compte que ces quatre gars ne sont guère mieux lotis sur le plan affectif : des amours qui foutent le camp, une famille impossible à créer ou à retrouver ; tout cela sonne hélas vrai et contemporain.

 

    Comme nous sommes dans un univers d’hommes, les sentiments ne se révèlent pas toujours, préférant se travestir derrière de joyeux fous rires communicatifs et revigorants. Cependant, la confession intime apparaît au bord d’une route, au détour d’un chemin et elle possède alors une force incroyable. Et c’est le moment a priori le plus tragique du film qui se transformant en grosse farce prouve simplement le lien qui unit les quatre lascars.

Quatre grands garçons presque dans le vent, en rupture de société et en roue libre le temps d’un week-end d’escapade et de découverte. Derrière ces séquences de rigolade et d’émotion, Le Plein de super est traversé de part en part d’un souffle puissant de liberté. Un souffle qui n’est pas si fréquent dans le cinéma français et dont on aurait tort de se priver. Tout comme de l’écoute de la seule musique du film, une petite ballade à la guitare composée par Etienne Chicot, qui enveloppe d’un halo magique et bienveillant les quatre compères.

 

Patrick

 

Français – 1 h 37 – Sortie le 9 Juin 2004