Le
silence
de Orso
Miret 1/2
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La Corse fut à l’honneur en 2004 sous
les tristes feux d’une actualité devenue routinière
et nauséeuse, mais aussi sous ceux plus revigorants du
cinéma. En effet l’Ile de Beauté a été le cadre de
pas moins de quatre tournages. Après trois productions
affligeantes à oublier très vite, la quatrième mérite
un arrêt prolongé. Orso Miret est un cinéaste
passé par la Femis, la réalisation de courts métrages
remarqués et d’un premier film De l’histoire
ancienne un peu trop ambitieux et intello. Il est aussi
d’origine corse. La conjugaison de tous ces facteurs
peut expliquer la qualité de son second opus.
Olivier et Marianne un jeune couple
parisien sont en vacances dans un village de la montagne
corse où le jeune homme a de la famille et des amis.
Avec ces derniers il chasse le sanglier, une activité
pour laquelle il est encore novice et qui doit lui
servir de moyen d’intégration et de reconnaissance au
milieu de cette équipe virile et soudée. Olivier
n’est certes pas novice que dans le maniement du fusil
et la traque du gibier. C’est un peu toute sa vie
qu’il aborde de guingois, vivant mal son statut de
futur père et la fin de son adolescence prolongée.
Observateur et peu prolixe, il est souvent en retrait,
indécis permanent. Alors qu’il regonfle ses pneus
dans une station-service, il est le témoin secret
d’un meurtre. Totalement défait par cette expérience,
il sombre dans le renfermement et le silence qui inquiètent
beaucoup Marianne qui y voit la mauvaise influence du
pays. Jusqu’à quel point pourra t-il se taire, garder
au fond de lui ce qu’il a par un mauvais hasard vécu ?
On sait que la loi du silence régit les habitudes et la
vie des Corses, aussi bien à titre individuel que
collectif. On verra à cet égard l’importance du
groupe et la pression qu’il peut exercer sur un
individu, surtout lorsqu’il n’appartient pas au sérail.
L’omerta n’est pas le sujet principal du film, plutôt
une métaphore de la vie d’Olivier, en pleine
initiation. Il est celui autour de qui gravite le film.
Lequel tient à la fois du western et de l’étude
psychologique.
La nature foisonnante, la montagne et
surtout les deux scènes de chasse au sanglier en battue
– la seconde revêt un caractère cathartique indéniable
- dont la maîtrise et l’efficacité épatent
renvoient en toute logique à l’idée de western. Le réalisateur
n’en abandonne pas pour autant ses personnages qu’il
fouille et ne caricature jamais (les poncifs sur la
Corse sont évités avec tact et finesse). A la réflexion,
Le Silence est plus complexe que prévu et offre différentes
pistes d’interprétation, quelquefois déroutantes ou
manquant de subtilité comme ces intervalles oniriques
en noir et blanc et le passage avec la randonneuse.
Ainsi Olivier n’a pas paru indifférent à la jolie
tenancière de la station-service qui sera assassinée
sous ses yeux dans une scène là aussi virtuose. Ce qui
ajoute un sentiment de trouble inattendu.
Orso Miret sait distiller l’angoisse et
une atmosphère progressivement inquiétante et pesante
dans le filmage pourtant anodin d’une rivière
sauvage, d’une route de montagne sinueuse ou d’une
cave mal éclairée. La musique parfaite, mais un
tantinet appuyée de Reno Isaac y contribue
largement.
Le Silence bénéficie aussi d’une interprétation de
qualité, des seconds rôles jusqu’à Natacha Régnier
toujours plus lumineuse et Mathieu Demy, qui
insuffle ambiguïté et fragilité à son personnage.
Sans doute un peu trop appliqué dans la volonté affichée
de bien faire, Le Silence, œuvre vernaculaire, confirme
cependant un cinéaste en devenir, aussi bien à
l’aise dans les scènes de groupes et d’actions que
dans la captation plus immatérielle et autrement plus
casse-gueule des non-dits et des tourments intérieurs.
Patrick Braganti
Français – 1 h 44 – Sortie le 29 Décembre 2004
Avec Mathieu Demy, Natacha Régnier, Thierry de Peretti
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