Le
village de M. Night
Shyamalan
|
|
|
|
En
l’espace de seulement trois films (il en avait réalisé
deux avant Sixième sens, passés inaperçus), M.
Night Shyamalan s’est hissé au rang de nouveau wonderboy
d’Hollywood, détrônant même pour beaucoup le récipiendaire
officiel du titre, par ailleurs son modèle (euh… je
parle de Spielberg là…). Efficacité de la
narration, élégance de la mise en scène, récurrence
d’une thématique propre, et accessoirement gros succès
au box-office bien sûr, le producteur-scénariste-réalisateur
d’origine indienne avait jusqu’ici la magic touch.
Autant mettre fin au suspense (sic) tout de suite, ça
n’est pas avec Le Village que son déclin va
s’amorcer, au contraire. Prolongeant à la fois ses 3
films précédents, tout en marquant une rupture nette,
signe évident d’une maturité nouvelle, ainsi que
d’une volonté salutaire de ne pas marquer le pas, il
pourrait marquer une sorte de climax du style Shyamalan.
Notamment dans la forme, qui impressionne et séduit
avant toute autre chose. Tirant au maximum parti des décors
hautement picturaux de son histoire (les Etats-Unis à
la fin du XIXème siècle), son sens du cadre et de
l’image « éternisante », comme figée
dans une perfection hypnotisante, le rythme lent,
presque hiératique de sa narration, atteignent une
forme d’apothéose d’autant plus sublime qu’elle
prend sa source dans une apparente simplicité. Avec
lui, une main tendue dans la nuit, une chaise en bois
sur la devanture d’une maison, le repas champêtre
partagé par une communauté deviennent des tableaux
vivants à la beauté saisissante. Son style relève
d’une sorte de classicisme audacieux, puisqu’inusité
aujourd’hui. Il se révèle d’autant plus pertinent,
fuyant par là-même les accusations de maniérisme qui
ne manquent pas de fuser, qu’il sert à merveille le
propos de son film, à savoir le dérèglement de la
perfection, la précarité des apparences. Comme il le
dit lui-même, c’est lorsque tout est parfait que
l’on sait que quelque chose de dramatique va
survenir…
Car on sent bien, outre la menace omniprésente, et sur
laquelle la vie des habitants semble réglée, des créatures
de la forêt voisine (forêt qui, soit dit en passant,
n’avait jamais été aussi bien filmée depuis Lynch),
que quelque chose ne va pas dans cette communauté trop
bien réglée : certes, le langage est plutôt châtié,
l’amour chaste, la couleur rouge proscrite (comme chez
Hawthorne bien sûr), mais on n’a pas réellement
l’impression d’avoir affaire à une communauté
puritaine. La religion notamment, ne semble pas avoir un
poids véritablement déterminant. Surtout, comment se
fait-il que le conseil des anciens ressemble plus à une
assemblée de fringants quinquagénaires (on y trouve Sigourney
Weaver et William Hurt, excellent) ?
L’espérance de vie était certes relativement courte
fin XIXème, mais quand bien même… Difficile à ce
stade là d’en dire plus sans en révéler trop… La
menace guette rapidement en tout cas, et le perfection
idyllique des lieux ne tient qu’à un fil…
Thématiquement, Le Village prolonge ce qui était
abordé, de manière sans doute partiellement fortuite,
dans Signes : ce dernier, qui montrait une
famille (un pays) cloîtrée chez elle (chez lui) afin
de suivre les agressions extérieures sur son poste de télévision
ne pouvait pas avoir totalement assimilé les évènements
du 11 septembre puisque le tournage leur était simultané.
Ici en revanche, Shyamalan est on ne peut plus
clair : son pays vit du mensonge, de la peur
(difficile à ce stade etc etc). Le Village passe
alors rapidement d’un film qui fait peur à un film sur
la peur. Et devient son oeuvre la plus ouvertement
politique et théorique, au détriment diront certains,
de la portée émotionnelle qui faisait tout le prix de
son prédécesseur : la magnifique histoire
d’amour unissant Bryce Dallas Howard et Joaquin
Phoenix, tous deux remarquables, passe ainsi un peu
au second plan. Et si Shyamalan prouve qu’il
croit sans doute plus que jamais en la puissance de la
foi, d’où qu’elle provienne, de la force morale
individuelle, de l’amour surtout, c’est à une
« victoire » au goût bien amer à laquelle
il nous convie.
Pour le spectateur en revanche, que du bon : une
intrigue scotchante, une forme éblouissante, une réflexion
stimulante, M. Night Shyamalan est définitivement
la meilleure chose qui soit arrivée à Hollywood depuis
des années.
Laurent
Garcia
Etats-Unis
– 1h48 – Sortie le 18 août 2004
-
Avec Bryce Dallas Howard, Joaquin Phoenix, Adrien Brody, William Hurt, Sigourney Weaver
|