L’Enfant de
Jean-Pierre et Luc Dardenne
[3.0]
|
|
|
|
Tout bien considéré, les frères Dardenne
font plutôt dans la monomanie et sont d’incorrigibles
optimistes croyant en la bonté et la possible rédemption
de la nature humaine. Monomaniaques en effet car depuis
quatre films, ils s’attachent à suivre – et le mot
est on ne peut plus approprié – un personnage et son
parcours. Ce coup-ci, ils se collent aux basques de
Bruno, garçon de vingt ans, vivant avec sa copine Sonia
de chiches allocations et de recels en tous genres. Une
situation précaire dont Bruno paraît se satisfaire
tant il émane de lui un vrai plaisir à marchander,
fourguer, discutailler avec ses deux jeunes complices.
Complètement ancré dans le présent, sans réfléchir
à son avenir – mais comment pourrait-il le faire - ,
Bruno n’est certes pas préparé à son tout frais
statut de père. Lorsqu’il retrouve Sonia, celle-ci
vient juste de mettre au monde un petit Jimmy que Bruno
regarde à peine. Sans cesse à l’affût d’argent,
c’est presque par hasard qu’une de ses intermédiaires
lui met la puce à l’oreille sur les trafics
d’adoption et de ventes de bébés. Bruno sans
l’avoir réellement prémédité vend son fils
n’envisageant pas un seul instant les conséquences
induites par son acte irresponsable tant au niveau de sa
relation avec Sonia qu’à celui de son propre futur.
On commence à bien connaître Seraing, cette
bourgade industrielle belge sur les bords de la Meuse, décor
habituel des films des Dardenne. La misère et la
précarité y sont toujours autant présentes, et avec
elles des hommes et des femmes survivants, tentant de
garder la tête hors de l’eau. Puisque
l’environnement nous est dorénavant coutumier,
puisque la typologie des personnages des deux cinéastes
est identifiée à présent, il ne peut plus y avoir de
surprise ni de nouveauté à la découverte de ce sixième
long métrage. On y retrouve les mêmes endroits
glauques, les mêmes bords de route que mettaient déjà
en scène les précédentes réalisations. Cette fois,
et nous ne nous en plaindrons pas, le filmage est moins
saccadé et heurté, même s’il subsiste cette
propension à suivre à la trace le personnage central
dans le souci constant de rendre compte de l’urgence
et du présent.
L’Enfant
s’accompagne d’un véritable suspense, haletant et
stressant. C’est dans son traitement que les Dardenne
se montrent les plus doués. Leur cinéma prend tout son
sens dans le rythme et l’action. C’est un cinéma du
combat et de la lutte permanente, ce qui en fait un cinéma
du réel et politique, caractérisé également par sa
cohérence et sa profonde humanité.
A côté de l’efficacité indéniable de la
mise en scène et de l’excellente direction
d’acteurs (les Dardenne transcendent
aujourd’hui Jérémie Renier comme ils l’ont
fait en 2002 dans Le Fils avec Olivier Gourmet),
on peut avoir des réserves à propos de l’
inclinaison humaniste des réalisateurs à vouloir
sauver systématiquement leurs personnages. Un espoir se
laissait entrevoir à la fin de Rosetta pour la
jeune fille bien décidée à s’en sortir vaille que
vaille et Olivier parvenait à envisager la possibilité
du pardon dans son difficile chemin de croix. Il est ici
plus gênant que le destin de Bruno passe comme une
obligation par l’expiation et la responsabilisation,
car le happy end que la prise de conscience tardive du
jeune père provoque forcément réduit du même coup la
dimension du film. A cet égard, Keane vu il y a
quelques semaines offrait un point de vue autrement plus
subtil et plaçait le film dans une toute autre catégorie.
Pouvant être perçu comme une redite, sinon une
synthèse, des deux films précédents, L’Enfant
est bien sûr loin d’être banal et quelconque, mais
on est tout de même très dubitatifs sur
l’attribution de la Palme d’Or à Cannes.
Patrick
Braganti
Film
Français, belge – 1 h 35 – Sortie le 19 Octobre
2005
|