Les
Egarés
de
André Téchiné
Un long travelling ouvre et clôture le dernier film de André
Téchiné, pendant lequel une succession de visages
hagards et fatigués de gens jetés sur les routes en
pleine débâcle illustre l’absurdité et la cruauté
engendrées par toute guerre ; en l’occurrence
nous sommes ici en juin 1940 quelque part dans le Sud-Ouest
français.
De cette guerre, nous ne verrons donc que ces images à
peine ébauchées, puis le bombardement sur cette route
où Odile (Emmanuelle Béart) fuit Paris en
compagnie de ses deux enfants Philippe et Cathy. Alors
que tout prend feu et que la mort fauche les corps dans
le hasard le plus fou, la petite famille s’enfuit à
travers la campagne et croise un jeune adolescent Yvan (Gaspard
Ulliel, une révélation).
Dès
lors, nous quittons l’univers même de la guerre et
allons vivre autour de ces quatre personnages comme une
parenthèse au milieu d’une campagne magnifique,
reposante. Le sujet du film, c’est aussi l’histoire
d’une femme, veuve récente, en expectative, en
attente d’une renaissance du désir. Une femme qui se
laisse porter par les événements, qui investit sur
l’initiative du débrouillard et peu scrupuleux Yvan
une belle maison abandonnée. Très vite, nous perdons
la notion du temps qui passe. Les jours sont ponctués
par la recherche de victuailles, de tâches ménagères.
La trêve s’achèvera par l’arrivée de deux soldats
de retour du front et par la liaison entre Odile et Yvan,
et l’emprisonnement de Yvan.
Il fallait bien une actrice aussi sensuelle qu’Emmanuelle
Béart pour interpréter cette institutrice réservée,
presque indifférente à ce qui l’entoure. En
retrouvant Téchiné avec qui elle avait tourné J’embrasse
pas en 1991, elle renoue aussi avec un rôle fort et
magnifique. A ses côtés, le jeune Grégoire
Leprince-Ringuet qui compose le jeune Philippe est
étonnant de maturité précoce, d’opiniâtreté
encore enfantine. Quant à Gaspard Ulliel, déjà
vu dans Embrassez qui vous voudrez, il fait de
son personnage Yvan un garçon bravache, lucide sur la
guerre, mais aussi très solitaire.
Après
son escapade au Maroc pour Loin, Téchiné
renoue avec les paysages solaires du Sud-Ouest, qui
l’ont toujours inspiré pour ses meilleurs films :
Le lieu du crime, Ma saison préférée ou
surtout Les
roseaux sauvages
.
Film
de commande inspiré du Garçon aux yeux gris de Gilles
Perrault, Les Egarés est certes un film
romanesque à la construction classique, sensuel et
quasi palpable. La beauté et l’étrangeté de cette
histoire de quelques personnages égarés dans la
tourmente du moment et de leur propre existence rendent
ce film attachant et chaleureux et en font d’ores et déjà
un des bons moments de la rentrée.
Patrick
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