Jusqu’à
présent, Kim Rossi Stuart, dont la
ressemblance avec son aîné Nanni Moretti frappe
d’emblée malgré la différence d’âge et un
physique sans doute plus longiligne, avait fait
l’acteur, et plutôt bien, chez Michelangelo
Antonioni, Gianni Amelio et plus récemment
Michele Placido. Des maîtres, des repères auprès
de qui le jeune acteur présenté comme le plus
talentueux de sa génération en Italie a beaucoup
appris et a peut-être puisé l’envie de passer
de l’autre côté de la caméra.
Libero
met en scène une famille décomposée, au
parcours chaotique dont la chronique s’articule
autour de Tommi, le fils cadet. Dès la première
scène où sa sœur Viola le réveille en lui
versant un verre d’eau sur l’oreille, relayée
par le père Renato qui lui crie dessus sans ménagement
et sans réelle tendresse, on est envahis par un
sentiment de malaise et de tension qui ne nous
quittera plus. A voir quelques instants après le
père repasser les affaires de ses enfants en
tee-shirt fesses à l’air et expédier à l’école
son fils pas lavé et le ventre vide, on se dit
qu’assurément la mère manque dans ce clan
familial. A sa réapparition inopinée et peu appréciée
par Renato et par Tommi, on comprendra que
Stefania est une femme fragile, privée d’équilibre,
immature, restée une enfant qui n’aurait jamais
grandi, prenant régulièrement la tangente pour
des escapades sentimentales et sexuelles. Sa présence
en pointillés durant laquelle elle exprime de
manière maladroite et puérile son amour à ses
deux enfants et à son mari recrée un ciment
fragile et éphémère autour d’eux. Ce n’est
pas un manque d’amour, mais un trop-plein mal
exprimé et encombrant, qui qualifie le mieux les
rapports entre Tommi et les siens.
A
onze ans, Tommi est un enfant d’une grande
sensibilité, partagé entre les jeux de
l’enfance avec ses copains de l’école et sa
confrontation plus ou moins imposée au monde des
adultes. L’instabilité et l’absence de
Stefania ne sont en rien contrebalancés par la présence
de Renato, père caractériel et difficile,
pouvant sombrer dans des excès de rage et de colère
face aux désillusions qu’il connaît dans son métier
de caméraman freelance et aux faiblesses supposées
de ses enfants. La cellule familiale n’est pas
ici un cocon accueillant et protecteur, mais un
lieu où les enfants sont responsabilisés malgré
eux, associés comme témoins muets et conciliants
aux difficultés relationnelles et
comportementales de leurs parents. Malgré sa
maturité et sa capacité à organiser sa vie pour
se protéger des sautes d’humeur de Renato, qui
épargne davantage Viola pourtant moins mature et
plus crédule, titillée par une sexualité
naissante, Tommi est aussi un garçon introverti,
qui a déjà commencé à se construire une
carapace. C’est sur le toit de son immeuble où
il se livre à des acrobaties périlleuses,
tutoyant avec inconscience le vide symbolique de
sa jeune existence, qu’il trouve, solitaire et
intrépide, refuge.
A
partir d’une telle situation, la tentation était
grande de réaliser un film pétri de bons
sentiments cherchant coûte que coûte à nous émouvoir.
S’il n’évite pas quelques faux pas, force est
de reconnaître à Libero son réalisme et
sa volonté à décrire sans pathos la lutte
journalière d’une famille pour la survie de sa
structure passablement ébranlée. Ainsi, Libero
opère t-il une jonction avec le cinéma
autochtone et néo-réaliste de jadis. Le film est
construit par fragments comme autant de moments
qui composent l’existence de Tommi : chez
lui, à l’école et à la piscine où il
s’entraîne sans grand plaisir des heures durant
pour tenter de devenir le champion idéalisé par
son père.
Globalement
dégagé de toute sentimentalité, Libero
se révèle une première œuvre touchante et
juste, visant à saisir l’énigme d’une
relation entre parents déboussolés et enfants mûris
trop tôt dans une Italie en proie à la crise et
au renversement des valeurs. Le visage grave et le
plus souvent triste de Tommi reste longtemps en mémoire
grâce à l’interprétation de Alessandro
Morace, mais également à la pudeur et la
tendresse de Kim Rossi Stuart, qui a
parfaitement réussi à se mettre à la hauteur de
son personnage et à saisir avec justesse ses émois
au moment unique où se posent les bases de la vie
avec parfois une conscience douloureuse. Une belle
surprise en conclusion…
Patrick
Braganti
Comédie
dramatique italienne – 1 h 48 – Sortie le 8
Novembre 2006
Avec
Alessandro Morace, Marta Nobili, Kim Rossi Stuart
Plus+
www.libero-lefilm.com
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