Le
dictionnaire définit l’iceberg comme un bloc de
glace très volumineux, caractérisé par une
partie émergée cinq fois moins dense que la
partie immergée, cette dernière revêtant par
extension un caractère secret mais primordial. On
établira ainsi assez logiquement l’analogie
avec l’Iceberg – le film. Ce premier
long-métrage a quelques défauts – des
longueurs et des répétitions – que l’on
cantonnera aux 20 % émergés ; il est aussi
novateur et franchement jouissif, plein de
promesses concernant l’avenir du trio qui le met
en scène.
Les
amateurs de loufoquerie et de non-sens, tous ceux
qui ont vibré au cinéma de Chaplin et Keaton,
bref tous ceux qui ont conservé suffisamment une
âme d’enfant, doivent s’empresser d’aller
planter leurs crampons sur cet iceberg, expression
ultime du désir de glace et de neige de Fiona.
Comment
un tel désir peut-il bien naître chez une femme,
manager de fast-food dans une grise banlieue,
affublé d’un mari myope et lunaire, de deux
enfants sages, vivant dans un pavillon modeste au
milieu de plein d’autres identiques ? De la
manière la plus fantasque : Fiona se
retrouve par mégarde enfermée toute une nuit
dans la chambre froide de son restaurant. La congélation
momentanée de ses facultés lui faisant peut-être
prendre conscience de celle de sa propre vie
triste et monotone, Fiona envoie tout valdinguer,
rencontre un marin solitaire, sourd et muet, et
met le cap vers le grand Nord, poursuivi par un
mari pas du tout décidé à laisser sa femme
partir avec le premier venu.
L’idée
maîtresse d’aller voir ailleurs, de tout
quitter et de repartir de rien n’est certes pas
nouvelle, puisqu’elle a inspiré nombre de films
d’aventures. C’est ici le traitement qui fait
toute la différence.
Sous
la triple influence du cirque – les clowns -, du
cinéma muet et surtout de Jacques Tati, L’Iceberg
démonte les ressorts habituels de la mise en scène.
Le scénario est quasi inexistant, les dialogues
rares, réduits à des borborygmes ou des cris.
C’est le corps des comédiens qui est le vecteur
du récit. A ce jeu-là, Fiona Gordon est
championne hors pair : grande bringue dégingandée,
elle semble caoutchouteuse et modelable à
souhait. Reine de la chute, dans les frites surgelées
ou les embruns, sirène longiligne dans les eaux
froides du nord, cette fille-là est une révélation,
digne héritière de ses inspirateurs.
L’Iceberg
est truffé de gags, parfois un peu longuets ou
faciles, comme le mari s’habillant à tâtons le
matin ou le ballet nocturne du drap blanc. Mais
c’est peu de chose au regard de la poésie
burlesque qui irrigue tout le film, à la fois
chronique amère sur les rapports amoureux et
conte farfelu sur l’héroïsme dérisoire de ses
personnages, naïfs en quête d’amour,
aventuriers de pacotille à la recherche du
bonheur, quelle que soit la forme prise par
celui-ci.
Le
trio de comédiens qui exercent leur talent aussi
bien au théâtre qu’au cinéma réussit la
difficile alchimie entre un cinéma populaire et
drôle et un cinéma d’auteur inventif et
exigeant. En présentant des personnages tout à
fait ordinaires, notamment un groupe de personnes
âgées, en révélant une humanité chaleureuse, Dominique
Abel et Fiona Gordon établissent une
parenté indubitable avec Quand la mer monte
(2004) et de loin en loin avec la filmographie de Kaurismaki.
C’est
rien de dire que l’on attend avec impatience
leur prochain film.
Patrick
Braganti
Comédie
belge – 1 h 24 – Sortie 5 Avril 2006
Avec
Dominique Abel, Fiona Gordon, Philippe Martz
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