cinéma

L’iceberg de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy

[4.0]

 

 

Le dictionnaire définit l’iceberg comme un bloc de glace très volumineux, caractérisé par une partie émergée cinq fois moins dense que la partie immergée, cette dernière revêtant par extension un caractère secret mais primordial. On établira ainsi assez logiquement l’analogie avec l’Iceberg – le film. Ce premier long-métrage a quelques défauts – des longueurs et des répétitions – que l’on cantonnera aux 20 % émergés ; il est aussi novateur et franchement jouissif, plein de promesses concernant l’avenir du trio qui le met en scène.

 

Les amateurs de loufoquerie et de non-sens, tous ceux qui ont vibré au cinéma de Chaplin et Keaton, bref tous ceux qui ont conservé suffisamment une âme d’enfant, doivent s’empresser d’aller planter leurs crampons sur cet iceberg, expression ultime du désir de glace et de neige de Fiona.

Comment un tel désir peut-il bien naître chez une femme, manager de fast-food dans une grise banlieue, affublé d’un mari myope et lunaire, de deux enfants sages, vivant dans un pavillon modeste au milieu de plein d’autres identiques ? De la manière la plus fantasque : Fiona se retrouve par mégarde enfermée toute une nuit dans la chambre froide de son restaurant. La congélation momentanée de ses facultés lui faisant peut-être prendre conscience de celle de sa propre vie triste et monotone, Fiona envoie tout valdinguer, rencontre un marin solitaire, sourd et muet, et met le cap vers le grand Nord, poursuivi par un mari pas du tout décidé à laisser sa femme partir avec le premier venu.

L’idée maîtresse d’aller voir ailleurs, de tout quitter et de repartir de rien n’est certes pas nouvelle, puisqu’elle a inspiré nombre de films d’aventures. C’est ici le traitement qui fait toute la différence.

 

Sous la triple influence du cirque – les clowns -, du cinéma muet et surtout de Jacques Tati, L’Iceberg démonte les ressorts habituels de la mise en scène. Le scénario est quasi inexistant, les dialogues rares, réduits à des borborygmes ou des cris. C’est le corps des comédiens qui est le vecteur du récit. A ce jeu-là, Fiona Gordon est championne hors pair : grande bringue dégingandée, elle semble caoutchouteuse et modelable à souhait. Reine de la chute, dans les frites surgelées ou les embruns, sirène longiligne dans les eaux froides du nord, cette fille-là est une révélation, digne héritière de ses inspirateurs.

L’Iceberg est truffé de gags, parfois un peu longuets ou faciles, comme le mari s’habillant à tâtons le matin ou le ballet nocturne du drap blanc. Mais c’est peu de chose au regard de la poésie burlesque qui irrigue tout le film, à la fois chronique amère sur les rapports amoureux et conte farfelu sur l’héroïsme dérisoire de ses personnages, naïfs en quête d’amour, aventuriers de pacotille à la recherche du bonheur, quelle que soit la forme prise par celui-ci.

Le trio de comédiens qui exercent leur talent aussi bien au théâtre qu’au cinéma réussit la difficile alchimie entre un cinéma populaire et drôle et un cinéma d’auteur inventif et exigeant. En présentant des personnages tout à fait ordinaires, notamment un groupe de personnes âgées, en révélant une humanité chaleureuse, Dominique Abel et Fiona Gordon établissent une parenté indubitable avec Quand la mer monte (2004) et de loin en loin avec la filmographie de Kaurismaki.

C’est rien de dire que l’on attend avec impatience leur prochain film.

 

Patrick Braganti

 

Comédie belge – 1 h 24 – Sortie 5 Avril 2006

Avec Dominique Abel, Fiona Gordon, Philippe Martz