cinéma

L’interprète de Sydney Pollack 

[3.5]

 

 

    L’ONU c’est commode : le monde en figurines réduction, une enclave de Droit International au cœur de l’Amérique parano, un brouhaha de langues, une architecture 70. Ce dernier point, purement esthétique voire esthétisant tient une place de choix ici. Car Sydney Pollack, réalisateur old school, fait miroiter les surfaces de sa gloire passé (déchue) –Les trois jours du condor, par exemple- dans une époque qui l’a zappé.

 

    Un film politiquement moderne en 2005 aurait une toute autre allure : celle du terrorisme international, plus économique que politique au sens stricto sensus, plus montage-démontage de sociétés off-shore que menace d’attentat sur les Président-dictateur d’un improbable état africain (le Motobo –remplacez les o par des u, inversez les syllabes). Un film politique moderne en 2005 aurait tout simplement zappé l’O.N.U.

 

    Qu’est-ce qui peut donc pousser Sydney Pollack à vouloir y ancrer son film ? La réponse est contenue dans la question : c’est Sydney Pollack lui-même, ex-militant gauchiste des nobles causes forcé trente ans après de se coltiner la réalité d’un pouvoir qui corrompt les meilleures intentions. Car le dictateur sanguinaire du Motobo avait d’abord de grandes ambitions (la preuve : il avait écrit un livre, image de civilisation avancée s’il en est) pour un peuple au sein duquel vivait la petite Kidman enfant. Petite histoire dans la grande : sa famille décimée par la crapule, notre interprète à l’ONU (elle parle le Ku, c’est pratique) n’a-t-elle pas de bonnes raisons de préparer une vendetta dans le saint des saints –l’ONU, donc ?

 

    Malheureusement, dans sa naïveté dupée, Pollack demeure aujourd’hui aussi aveugle à la réalité qu’il l’était autrefois. Campé dans ses bottes d’inconscience, il croit en la justice des hommes et son fameux (mais si peu probant) Tribunal Pénal International (on comprend mieux pourquoi on l’a autorisé à filmer sur place).

 

    Bien sûr, on peut tout aussi bien zapper toutes ces horripilantes et très américaines (sens primaire) conceptions du système politique et son citoyen épris de bien. Mieux vaut en effet se concentrer plutôt sur ce qui forme la trame de ce film, à savoir l’amour ; ou plutôt le non-amour. Car Pollack nous refait une fois de plus le coup des solitudes prises dans le tourbillon de l’histoire, avec romance impossible à la clé. Dans ce cinéma-là (voir Havana, Out Of Africa ou le plus récent L’ombre d’un soupçon), l’amour se dérobe sous les pas et l’effet tout puissant des politiques institutionnalisées. Cinéma de la résignation, des illusions perdues où Sean Penn excelle, tirant une gueule de vingt kilomètres que la pâle mais plus vive Nicole Kidman n’arrive pas vraiment à relancer (tout de même : il ose le jean sur la fin). Cinéma classique et sans génie (Pollack filme New York comme il filmerait sa chambre), à l’image de cet ONU 70, bâtiment suranné où le pouvoir n’est que de façade, témoin –comme le réalisateur- d’un monde qui croit en la justice des hommes mais n’espère plus le quotidien de l’amour.

 

Christophe Malléjac

 

Film américain – 2 H 00 – Sortie le 8 juin 2005

Avec Nicole Kidman, Sean Penn, Catherine Keener

 

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