Il
n’est pas du tout certain que le dernier Chabrol
rehausse l’image de marque de la justice et de
son personnage emblématique, le juge
d’instruction, actuellement écornée par les événements
que l’on sait. Personnage de pouvoir, dont
« on dit qu’il est le plus puissant de
France » comme l’autoproclame Jeanne
Charmant-Killman, elle-même juge à
l’extravagant patronyme qui réussit la parfaite
synthèse entre sa beauté et son âme de tueuse.
L’ambitieuse
magistrat est en charge d’une complexe affaire
de détournements de fonds et de juteuses
commissions impliquant un important groupe
industriel à la tête, présidé par Michel
Humeau. Dans cet imbroglio qui entrechoque les
milieux financiers et politiques de haute volée
se croisent chefs d’entreprises et de cabinets.
Des hommes de pouvoir amateurs de gros cigares et
d’armagnacs raffinés, pas du tout disposés à
se laisser importuner par une juge surnommée
« la piranha » par ses pairs et
ses victimes.
Malgré
ses liens évidents avec l’affaire Elf (le sexe
du magistrat, les soucis eczémateux de Humeau, sa
maîtresse onéreuse, les ramifications
africaines), Chabrol n’ambitionne
nullement d’en reconstituer la genèse et le développement.
A travers une illustration libre de cette arachnéenne
situation, le prolifique cinéaste préfère
interroger les ravages et les limites du pouvoir.
JCK
est parfaitement consciente du sien qu’elle
exerce sans vergogne auprès de ceux qu’elle
interroge : interdiction de fumer,
perquisitions perfides, amalgame entre vie
publique et vie privée. A ce petit jeu, JCK est
passée orfèvre, jouant de ses sourires, de la
douceur de sa voix et de ses longs regards fixes.
Au
fur et à mesure que la juge tisse sa toile dans
laquelle elle emprisonne ses proies, sa propre vie
privée prend l’eau : dans son grand
appartement, son mari dépressif et effacé erre
comme une âme en peine. Seul le neveu de celui-ci
Félix apporte sa jeunesse et son esprit frondeur.
Il entretient avec sa tante une relation proche et
ambiguë, bien que son propre parcours soit diamétralement
opposé à celui du magistrat.
Félix,
dilettante et sans ambition affichée, renvoie à
JCK son inaltérable énergie et sa combativité
inentamable. Derrière cette activité fébrile rôde
la vanité, ce dont JCK finira par se rendre
compte, réalisant qu’elle possède le pouvoir
qu’on veut bien lui donner et choisissant au
final par une formule lapidaire et définitive de
prendre une certaine distance avec son métier
sacerdoce. Ce qui au passage dynamite les
intentions intègres et bien-pensantes de la juge,
dont le moteur reste bien sa propre carrière.
De
l’autre côté, le constat n’est guère plus réjouissant :
là aussi c’est le règne des tueurs et des
magouilleurs. Alors que Humeau l’ancien président
est lâché par ses condisciples, le nouveau
Sibaud (le choix de tous les noms est ici un régal,
il y a même un avocat nommé Parlebas) entreprend
de séduire la juge, allant jusqu’à la faire
vaciller sur ses principes professionnels.
Au
mieux de sa forme qu’il recouvre après deux
films mineurs, le fringant Chabrol se livre
à un véritable jeu de massacre duquel personne
ne se relève vraiment, si ce n’est Félix, le
seul qui ici n’ait rien à prouver. L’ivresse
du pouvoir, qu’il ne faut pas limiter à sa
simplicité évidente et à son esthétique proche
du téléfilm, est contagieuse grâce à ses
dialogues et le talent de ses comédiens. Inutile
de redire tout le bien que l’on pense de Huppert,
alors retenons par exemple le numéro hilarant de Balmer.
Optant
davantage pour le traitement comportementaliste au
détriment du psychologique, la septième
collaboration entre Chabrol et Huppert
fait des étincelles. Jouissif en diable, méchant
et cinglant, L’ivresse du pouvoir est un
petit bijou d’impertinence.
Patrick
Braganti
Comédie
dramatique française – 1 h 50 – Sortie le 22
Février 2006
Avec
Isabelle Huppert, François Berléand, Robin
Renucci, Patrick Bruel
Plus+
www.livressedupouvoir.com
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