Loin
du paradis
de
Todd Haynes 1/2
Dans une petite ville du Connecticut,
dans les années 50, tout est beau et merveilleux chez
la famille prospère des Whitaker : le mari Frank
est cadre supérieur dans une firme moderne et
technologique ; son épouse la délicieuse Cathy reçoit
ses amies pour le thé ou de somptueuses réceptions et
fait aussi l’objet d’articles de la presse people de
l’époque. Ajoutez pour compléter ce tableau
idyllique deux charmants enfants, une bonne noire, une
magnifique maison au milieu d’un jardin sauvage et très
arboré confié aux soins d’un jardinier noir, remplaçant
son père qui vient de disparaître
Hélas, derrière toutes ces apparences et ce monde pesant
et étouffant des conventions, le si bel agencement va
se déchirer et révéler la vraie vie, les tourments
intimes de chacun.
D’abord fortement ébranlée par la révélation de
l’homosexualité de son mari, Cathy va voir son monde
et ses repères se fissurer, ne finissant par trouver
que du soutien et du réconfort auprès de Raymond, le
jardinier noir ; ce qui achève de la singulariser
et de la mettre au ban de sa société habituelle corsetée
dans ses principes hypocrites, sa pudibonderie et son
racisme exacerbé.
Todd Haynes, jeune réalisateur américain
de 42 ans, s’était jusqu’alors illustré dans le
cinéma indépendant, fortement influencé par la
culture gay. Poison était une adaptation libre
de l’œuvre de Jean Genet ; Safe en
1995 est une métaphore remarquée sur les années sida
et enfin Velvet Goldmine une reconstitution de
l’univers glam rock des années 70
C’est donc un tournant risqué mais brillamment négocié
que Todd Haynes a pris en réalisant Loin du
paradis, film à la facture très classique, avec
l’utilisation de tous les archétypes inhérents au
genre (musique un rien pompière de Elmer Bernstein,
calligraphie du générique, linéarité du scénario),
rejoignant en cela les films de Douglas Sirk.
Cependant, le film tourné en 2002 a aussi la volonté
d’aborder des sujets graves et sans fioritures que le
cinéma des fifties n’avait certes pas coutume de
traiter : homosexualité, racisme, poids des
conventions.
Les couleurs automnales qui rehaussent joliment l’actrice
principale, et
notamment les scènes d’extérieurs dans les jardins
et les forêts sont absolument magnifiques, comme si Todd
Haynes avait voulu opposer la nature rayonnante et
grandiose aux petitesses jalouses et hypocrites des
humains.
La qualité évidente de ce film tient
aussi pour une large part à celle de son interprétation,
avec au tout premier rang Julianne Moore dans le
rôle de Cathy, actrice américaine au riche parcours
qui va du cinéma commercial et hollywoodien (Le
monde perdu) à celui plus indépendant et audacieux
(Safe, Boogie nights ou The hours,
actuellement à l’affiche). Splendide dans ses robes
évasées, sa coiffure ondulée, elle lutte jusqu'à
l’épuisement pour sauvegarder les apparences et préserver
son monde conventionnel, frôlant parfois l’inexpressivité
pour ne rien faire paraître de ces émois intérieurs.
Son prix d’interprétation reçu au dernier festival de
Venise est pleinement mérité,
Dennis Quaid, ancien pionnier astronaute dans
L’étoffe des héros, campe Frank, homme déchiré
entre sa famille et sa nature et donne à son personnage
des accents qui rappellent le jeu de Montgomery Cliff.
Bénéficiant d’une critique unanime
tant auprès des professionnels que du public, auréolé
déjà d’un prometteur palmarès (Venise, New York, San
Francisco et nominations aux Oscars), Loin du paradis est un éblouissement pour les yeux,
un déchirement poignant pour le cœur et constitue
d’ores et déjà un des plus grands plaisirs de cinéma
de cette année 2003.
Patrick
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