Peut-être
son séjour prolongé à Rome (berceau de la chrétienté
chargé en symboles divers) a t-il influencé,
sinon changé, le bad boy du cinéma américain.
Au vu de Mary, relecture personnelle de
l’histoire de Marie-Madeleine (devenue ces temps
derniers la nouvelle inspiratrice à la mode), on
n’est pas loin de le croire. Finis les films
glauques de gangsters, voici venu le temps de la rédemption
en quelque sorte, même si toute l’œuvre du cinéaste
new-yorkais est traversée par les notions de
faute et de rachat.
Mary,
c’est Mary Palesi, actrice qui achève le
tournage de Ceci est mon sang, dernière
provocation du réalisateur Tony Childress, égocentrique
et orgueilleux, qui doit avoir quelques points
communs avec Ferrara. Passablement
traumatisée par son rôle de Marie-Madeleine, la
comédienne refuse de regagner New York avec
Childress, préférant se diriger vers Jérusalem
pour y recouvrer une certaine sérénité. A New
York, Théodore Younger est un animateur de télévision
présentant une émission à succès où il est
surtout question de religion et de la vie de Jésus.
Sur son plateau, il reçoit tous les plus grands
experts et théologiens pour des échanges de
haute volée. Alors que sa compagne Elizabeth est
enceinte, Ted Younger se livre à une incartade en
passant la nuit chez une maîtresse, nuit durant
laquelle Elizabeth est admise en urgence à l’hôpital
pour un accouchement prématuré ne garantissant
pas la survie du bébé. Déjà ébranlé par les
témoignages de son émission, Ted à la suite de
ce faux pas lourd de conséquences sombre dans la
culpabilité, implorant son châtiment (sa mort ?)
pour le sauvetage de Elizabeth et du bébé.
Recevant Tony Childress pour la sortie controversée
de son film, Ted Younger obtient la participation
par téléphone de Mary toujours réfugiée à Jérusalem,
ce qui provoque la colère du réalisateur.
Mary
est un film inégal, pour ne pas dire bancal, qui
alterne des moments de grâce, somme toute assez
rares (le bébé pleurant après l’attentat à Jérusalem
comme porteur de toute la mémoire du monde est la
plus belle scène du film), à des périodes hélas
plus fréquentes de prêchi-prêcha sur la foi,
pas mal barbants pour peu qu’on ne goûte guère
à toutes ces questions religieuses. Donc aux
questions fondamentales du comment et du pourquoi
de la foi, Ferrara n’apporte aucune réponse
(mais est-ce possible ?) et préfère nous
livrer sa vision fichtrement personnelle du
miracle de la croyance.
Là
où le film est plus intéressant, c’est dans
son inscription dans le monde contemporain, celui
qui suit les attentats du 11 Septembre. La
psychose terroriste de Jérusalem à New York dans
des manifestations voisines émaille Mary
de bout en bout. Difficile de ne pas voir dans ces
quelques scènes qui surgissent violemment et
atterrent le spectateur le fameux traumatisme
post-attentat que même un vieux roublard comme Ferrara
pourtant exilé à Rome depuis ne peut s’empêcher
d’utiliser comme matière, sinon comme thérapie
personnelle.
Mary
multiplie aussi les dispositifs : le tournage
et la projection de Ceci est mon sang, les
reportages à travers les écrans et l’émission
de Ted Younger, comme il accumule les lieux.
Cependant, il n’y a pas beaucoup de liant dans
cet éparpillement, ce qui donne une impression de
joyeux foutoir. Et on s’aperçoit que Mary
n’est qu’un personnage secondaire, simple révélateur
pour elle-même d’abord et pour Ted ensuite. Dès
lors, il n’y a pas à s’extasier plus que nécessaire
sur l’interprétation « ravie de la crèche »
de Juliette Binoche. Et c’est bien le génial
Forest Whitaker, trait d’union du film,
qui suscite l’admiration pour la qualité de son
jeu et sa capacité à exprimer ses doutes et ses
tourments.
Il
est probable que les incroyants et autres athées
ne trouvent peu d’intérêts à Mary,
vite agacés par un discours qui n’évite pas
les écueils de la moralisation. Dégagé de son
propos, Mary marque aussi le retour à l’écran
d’un réalisateur iconoclaste et irrégulier.
Pas sûr néanmoins que sa nouvelle vie presque
ascétique lui réussisse si bien. Gageons que son
retour dans la Grosse Pomme et ses plaisirs
interdits le ramènent vite dans le mauvais
chemin…
Patrick
Braganti
Film
Américain – 1 h 25 – Sortie le 21 Décembre
2005
Avec
Juliette Binoche, Forest Whitaker, Matthew Modine
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