cinéma

Moi, toi et tous les autres de Miranda July

[4.0]

 

 

    Si vous avez aimé au printemps The taste of tea, nul doute que vous craquiez de la même manière pour le premier film de Miranda July : Moi, toi et tous les autres. Comme dans le film japonais, on retrouve ici une atmosphère onirique, un doux délire et une furieuse tendance à tenter de réaliser ses rêves. Dans une banlieue américaine banale, Richard vendeur de chaussures dans une grande surface style hard discount vit plutôt mal sa séparation d’avec sa femme qui lui laisse en cadeau leurs deux fils. Ce grand échalas auquel les spectateurs français ne manqueront pas de trouver une ressemblance stupéfiante avec Pierre Palmade va même dans un geste pitoyable jusqu’à s’immoler la main. Comme il s’est arrosé d’essence à briquet au lieu d’alcool, non seulement sa main s’enflamme, mais elle brûle aussi en profondeur. A quelques encablures, Christine Jesperson véhicule dans son taxi vermeil – le bien-nommé – les pensionnaires de la maison de retraite locale. Chez elle, dans son monde personnel, elle est aussi une artiste qui plaque sur des images et des vidéos des dialogues de sa composition avec l’objectif de conjuguer art et réalité.

 

    Bien sûr, ces deux-là vont se rencontrer ainsi que d’autres habitants de ce quartier. Le film est ainsi un kaléidoscope tant au niveau des parcours qu’il enchevêtre que de la forme qu’il revêt. En effet l’histoire de Christine Jesperton a beaucoup à voir avec la vraie vie de Miranda July qui en endosse le rôle en supplément de la réalisation. Miranda travaille dans plusieurs domaines artistiques qui mêlent performances audio et vidéo avec l’écriture. Cette femme aux yeux ronds et bleus de laquelle émane une tendresse et une naïveté déconcertantes avoue s’être inspirée de sa propre enfance qu’elle a passé à rêver d’une rencontre magique éclairant et transformant toute une vie. Le monde des rêves et de l’imagination a toujours trouvé refuge chez les enfants, êtres de spontanéité et de curiosité, pas encore pollués par la vilenie et les vices des adultes. C’est sans doute pourquoi le microcosme mis en scène par Miranda July est-il aussi composé d’enfants et d’adolescents. Elle les place dans des situations de découvertes en rapport direct avec la sexualité sans qu’aucune des scènes ne sombre dans le graveleux ou le voyeurisme. Gageure accomplie quand on pense à l’extrême risque qu’elles représentaient. On ne voit rien de sordide ni de malfaisant lorsque le plus jeune fils de Richard chatte sur Internet dans un échange à la fois très cru et sans fioritures, mais aussi dénué d’arrière-pensées. Et toujours pas de grivoiserie facile quand le fils aîné de Richard sert de cobaye à deux adolescentes désireuses de comparer leur savoir-faire sexuel.

 

    Miranda July excelle à accumuler des petits moments pleins de poésie et d’onirisme. Moi, toi et les autres à l’image de son titre est un joyeux collage fonctionnant sur des supports variés comme l’Internet, la vidéo qui représentent pour la cinéaste les multiples facettes de sa personnalité. Cet univers très personnel aux couleurs acidulées et à l’ambiance sonore très pop renvoie aussi au travail de Sofia Coppola dans Virgin Suicides notamment dans le restitution de la langueur et de l’ambiguïté adolescentes.

La Caméra d’Or obtenue par le film à Cannes cette année est totalement méritée. Moi, toi et tous les autres est un objet de cinéma inhabituel et attachant, loin de toute fabrication et de toute roublardise et qui, l’air de rien, dans la simple observation de quelques personnages, en dit beaucoup sur le mal-être affectif et existentiel de nos contemporains. Une jolie surprise de rentrée.

 

Patrick Braganti

 

Film Américain – 1 h 30 – Sortie le 21 Septembre 2005  

Avec Miranda July, John Hawkes, Brad William Henke

 

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