Mon
père est ingénieur de
Robert Guédiguian
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Le temps qui passe rend parfois les êtres humains plus
tristes, plus désenchantés, même s’ils ne renoncent
pas complètement à leurs idéaux juvéniles. C’est
certainement ce qui arrive à Robert Guédiguian
qui donne à voir un film fort et sombre, où la
symbolique chrétienne pas toujours légère se mêle
finement à la diatribe de l’engagement politique.
A Marseille, évidemment, même si pour une fois la mélodie
des accents et le soleil des calanques sont moins présents,
Natacha (Ariane Ascaride, dans une double
composition étonnante) vient de sombrer dans une léthargie
mutique inexplicable qualifiée de « sidération
psychique » dont nul ne sait quand elle en
sortira. Jérémie (Jean-Pierre Darroussin
impeccable, sur les épaules duquel repose la
quasi-totalité du film) son ancien amoureux parti
sauver l’humanité dans des voyages au long cours débarque
à Marseille pour aider les parents désemparés de
Natacha et tenter de lui redonner le goût de la parole
et de la vie. Car c’est bien de la vie et des combats
qu’elle engendre dont Natacha a décidé de se retirer
subitement, comme si son corps refusait de poursuivre la
lutte.
En rattachant l’intrigue principale à celle éternelle
de la naissance du Christ, Guédiguian peut décontenancer,
sinon agacer, mais une chose est sûre : il pose en
filigrane un certain nombre de questions sur l’état
du monde et de ses habitants. Qui de Natacha ou Jérémie
a raison ? Certes tous deux élevés au biberon du
communisme et des cours de russe – expliquant
l’origine de leur patronyme et celle du titre - sont
mus par le désir humaniste et louable d’aider son
prochain. Mais si l’une a choisi de devenir pédiatre
dans une barre de son quartier, l’autre en tant que
membre éminent du ministère de la Santé préfère
parcourir le monde, avec sans doute l’idée de se fuir
lui-même et de ne pas finaliser son histoire d’amour
avec elle, une histoire annuellement remise en question
par une formule leitmotiv : On continue ou on
arrête ?
A l’heure où Natacha la combattante acharnée descend du
train pour des raisons que le film dévoile petit à
petit, Jérémie décide lui aussi de stopper sa carrière
brillante phagocytée par une politique bavarde, omniprésente
et stérile. Car au passage, l’engagé et ancien
militant communiste Guédiguian règle quelques
comptes avec la société actuelle, épinglant un monde
déshumanisé et peu solidaire. Et rend hommage à
l’humanité toute entière dans une palette métissée
de personnages, élargissant à celles de la planète
les frontières d’une cité phocéenne bigarrée et
multiethnique.
Certes on peut se montrer tatillon et peu réceptif à
l’usage symbolique de la Nativité et de l’histoire
pastorale conjointe. Et dans une moindre mesure, la
bande originale pompière et inutilement tire-larmes
peut aussi susciter quelques réserves. Cela posé, il
n’en reste pas moins que le dernier film de Guédiguian,
dont les propos sociaux rejoignent ici le travail de son
collègue britannique Loach, secoue salement les
tripes et fait réfléchir durablement au-delà de l’émotion
primaire ressentie.
Après tout, l’idée qu’un peu plus d’amour et de tolérance,
fondement essentiel de ce que devraient être toutes les
religions, redéfinissant simultanément la notion même
d’esprit chrétien, puisse sinon sauver le monde du
moins l’aider à aller un peu mieux est suffisamment séduisante
pour pardonner à Mon père est ingénieur
quelques maladresses.
Alors si le réalisateur a perdu en route quelques
illusions, partageant en cela le sort de la majorité
des humains, il n’a pas heureusement décidé comme
son héroïne d’arrêter et de se retirer du monde. Au
contraire, il est plus que jamais déterminé à
continuer et à faire de son cinéma lyrique et
compassionnel un vecteur d’expression et
d’engagement.
Patrick
Français
– 1 h 48 – Sortie le 18 Août 2004
Avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Pascale Roberts, Jacques Boudet
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