Mondovino
de Jonathan Nossiter
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Le titre du documentaire de Jonathan Nossiter est
à demi mensonger. En effet, s’il y est beaucoup
question du monde (que nous traversons de part et
d’autre, nous y reviendrons), le vin y est traité de
manière plus parcellaire. En tout cas illustrative de
la mondialisation et de l’uniformisation en cours. Il
n’en reste pas moins que c’est un film remarquable
et jubilatoire. Parce que Nossiter a un regard de
cinéaste, une approche sympathique et candide de son
sujet et de ses protagonistes, qui n’est pas sans
rappeler la démarche d’un autre documentariste :
Michael Moore.
Du Chili à la Sardaigne, de la France aux Etats-Unis,
nous suivons Nossiter et sa petite équipe à la
rencontre de différents spécialistes du vin :
viticulteurs, œnologues, consultants, négociants et
affairistes en tout genre. Partant d’une tentative
d’acquisition de terroirs languedociens par une société
américaine vouée à l’échec par la double entremise
d’un changement de municipalité et d’un viticulteur
têtu et récalcitrant, Nossiter se propose de démêler
tous les fils de l’industrie vinicole et montre la
mainmise croissante du Nouveau Monde sur l’Ancien.
Cette invasion en bonne et due forme orchestrée par des
hommes d’affaires américains relayés par des
consultants acquis à leur cause en serait comique et
caricaturale si malheureusement elle ne révélait pas
aussi l’avancée vertigineuse d’une époque de plus
en plus consumériste et globalisée.
Dans
cette spirale infernale qui nivelle par le bas, il reste
encore quelques irréductibles au parler franc et à la
pensée limpide et revigorante. Le plus bel exemple en
est la famille De Montille, récoltants
bourguignons de père en fils chaperonnés par l’ancêtre
Hubert, la figure emblématique de la résistance et de
la conservation des traditions et de la qualité. Ce
bonhomme franchement impayable, au regard qui pétille
de malice et d’intelligence, mérite à lui seul un
film. Sa plus grande réussite est d’avoir inculqué
à se fille Alix le même amour exigeant. Mondovino
nous régale de quelques séances de dégustations avec
force commentaires.
Par comparaison, les autres participants vont paraître
plus cyniques, moins humains. Souvent mus par des
motivations mercantiles desquelles l’amour du vin
semble éloigné. Le film sait aussi fouiller dans des
recoins honteux, comme l’attitude collaborationniste
des viticulteurs français pendant la seconde guerre
mondiale ou comme les penchants ouvertement fascistes de
leurs homologues italiens amoureux d’ordre et de
tranquillité.
La
palme du goujat odieux est facilement attribuable à Michel
Rolland, un consultant bordelais à tu et à toi
avec de grands exploitants internationaux pour lesquels
il assure et développe la politique de fabrication et
de commercialisation, imposant du même coup et de manière
unilatérale son propre goût. Dans la même veine, le
film démonte un autre mythe : celui du critique
incarné par l’omnipotent et incontournable Richard
Parker, capable de provoquer de dangereuses contrefaçons
(selon les dires d’un fonctionnaire des Fraudes) et
d’engendrer des revirements pour le moins douteux.
Nossiter
se cantonne surtout aux grandes batailles autour des
grands vins, faisant de son film un thriller économique
passionnant. Il délaisse l’aspect petits producteurs
et n’évoque pas que le vin soit devenu aujourd’hui
un produit de pure spéculation.
Peu
importe ces manquements car ce film pourtant long se déguste
de bout en bout, malgré une caméra inutilement
parkinsonienne qui laisse penser que le caméraman a
peut-être trop forcé sur le goulot. Nossiter a
le regard juste et décalé, prenant un plaisir visible
à filmer les chiens des différents personnages comme
des doubles envisageables. Avec un sens évident de la
mise en scène, il aime aussi à placer hors champ des
attachées de presse aussi girondes que décoratives et
filme à côté de son sujet interrogé des petits riens
lourds de sens.
Devant
une telle bêtise revendiquée avec mépris et
condescendance par des affairistes en puissance, on rit
beaucoup. Jaune sans doute car une fois encore par le
petit bout d’une lorgnette œnologique nous est contée
l’évolution d’un monde global et uniforme, qui nécessite
plus que jamais résistance. Et de profiter du temps présent
en buvant entre autres un bon verre de vin savamment
choisi et apprécié. A la vôtre.
Patrick
Braganti
Américain
– 2 h 15 – Sortie le 3 Novembre 2004
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