En
vue de son prochain mariage, Vinh souhaite
rassembler sa famille. Jusque là, rien de bien
original, hormis que Vinh a deux familles :
la naturelle restée au Vietnam qui va débarquer
pour l’heureuse circonstance et celle qui
recueillit voici vingt ans le jeune homme, arrivé
comme tant d’autres de ses compatriotes à bord
des boat people qui s’échouaient sur les côtes
de Malaisie. Pour sa mère biologique, la famille
d’adoption de son fils exilé ne peut être
qu’unie et catholique. Parfaite en quelque
sorte. Ce qu’elle n’est malheureusement plus
et ce qu’elle n’a jamais été. Pour ce qui
est de la croyance, une photo du pape punaisée
sur un mur fera facilement illusion. Pour réunir
le clan disloqué et lui donner une apparence de
profonde harmonie, ce sera une autre paire de
manches, avec quiproquos, situations cocasses,
engueulades et pleurs à la clef.
Voici
donc l’enjeu de Mon frère se marie,
premier long-métrage de fiction du documentariste
Jean-Stéphane Bron, qui sous ses dehors de
comédie décalée, recèle une véritable émotion
qui gagne au fur et à mesure que l’on s’éloigne
de la cocasserie initiale. Cette famille au grand
cœur évident et aux idées humanistes qui lui
fit intégrer Vinh avec amour a sans doute connu
comme tant d’autres l’usure du temps et de
nombreuses difficultés, en provoquant l’éclatement
et figeant les échanges entre ses membres. La
belle maison occupée par le père est réinvestie
et réaménagée par son ex-femme, son fils et sa
fille pour y composer le tableau idyllique qui
devrait ravir et rassurer les visiteurs
vietnamiens, la mère et l’oncle de Vinh.
Situé
en Suisse, pays par excellence de la neutralité,
espèce de paradis terrestre idéalisé, Mon frère
se marie a aussi valeur de fable : le
regard de l’étranger posant la question de
notre désir de croire en ce qu’on nous raconte,
même si au fond nous ne sommes pas dupes de
l’illusion. Jean-Stéphane Bron ne manque
pas d’idées dans sa mise en scène : faire
parler les membres dissociés de la famille,
devant une caméra et un micro tenus par le fils,
du passé et du mariage ; ne pas sous-titrer
les dialogues en langue vietnamienne, prouvant que
les regards et les gestes en disent souvent plus
long et transcendent les barrières linguistiques.
Au
passage, Mon frère se marie en dit long
sur ce qu’est la maternité, comment Vinh se
trouve partagé entre ses deux mères qui elles-mêmes
épient l’intimité que le jeune homme accorde
à chacune d’elles. Il finira par traverser l’église
avec les deux femmes à ses bras.
La
noce, fête hybride mêlant la tradition orientale
aux usages occidentaux, réunion d’invités de
dernière minute : malades de l’hôpital où
exerce le fils, voisins… , sera le point
d’orgue et le champ idéal, tension et alcools
aidant, pour mettre à nu les rancoeurs et les
frustrations.
Mon
frère se marie ne sombre pas dans le pathos
et ne propose au final qu’une pause, une
respiration salutaires dont on ignore quelle en
sera la suite. Et donc pas la grande réconciliation
ni un trait soudain tiré sur les années écoulées.
Servi par l’interprétation de ses comédiens
– mais pourquoi, ne voit-on pas plus souvent sur
nos écrans le formidable Jean-Luc Bideau ?
– Mon frère se marie est une jolie
chronique familiale, douce-amère, drôle et
grave, légère et mélancolique.
Patrick
Braganti
Comédie
suisse – 1 h 35 – Sortie le 31 Janvier 2007
Avec
Aurore Clément, Jean-Luc Bideau, Cyril Troley
|