Il
faut replacer ce Munich, dans l’œuvre de
Spielberg, à la suite immédiate de son
autre grand film à portée historique, La
Liste de Schindler, dont le dernier plan de
cinéma pur (avant la procession sur la tombe de
Schindler) pointait littéralement du doigt pour désigner
la terre promise au peuple juif, sur laquelle en
1948 s’établirait l’Etat d’Israël. Exil
d’un peuple massacré. Très vite, les premières
hostilités entre Juifs et Palestiniens prennent
des atours meurtriers – guerre des six jours,
fondation de l’OLP, Septembre noir et la prise
en otage d’un groupe d’athlètes israéliens
lors des Jeux Olympiques de Munich (1972). C’est
donc dans l’après-coup des premières violences
israélo-arabes que le réalisateur américain
choisit d’intervenir, au cœur de son effusion
quasi-mondiale. La scène d’ouverture place la
violence au centre du projet : à la suite du
commando palestinien Septembre noir, nous pénétrons
le village olympique par effraction, à la manière
(brusque et de l’intérieur) des troupes américaines
débarquant en Normandie - sans parallélisme
cependant. Le projet est autre : à tous ceux
qui lui tendent un pro-sémitisme univoque en
guise de miroir, Spielberg répond de fait
en égalisant les positions. Justesse ou vacuité
de toutes ces causes. Ce point de vue, qui sera
maintenu tout au long du film par le développement
parallèle de l’action d’Avner et ses hommes
(chargés de liquider les organisateurs de la
prise d’otage de Munich) et celui, en flash
back, de la prise d’otage tragique, relève
d’un véritable parti pris de mise en scène,
d’un pessimisme audacieux qui surprend dans
l’objectif de la caméra spielbergienne.
Une
évidence frappe d’emblée : la proximité
des corps. Filmé ras des peaux, Munich
prend souvent des allures documentaires
(photographie granuleuse ultra solarisée),
explicitement parfois - dans la reconstitution
minutieuse de certains gestes du commando
palestinien -,
spontanément souvent, dans son
essoufflement surtout, comme arraché à la
violence qui interdit toute approche par trop
sophistiquée. De fait, Munich est sans
doute le film le plus incarné de Steven
Spielberg, au-delà de ses récentes
productions souvent claudicantes à force de béquilles
trop lourdes (contraintes du genre SF), qui au
final se révélaient incapables de trancher dans
un réel toujours mis à distance. De plain-pied
cette fois-ci, à la suite d’Avner l’inexpérimenté,
sabra bientôt père de famille, nous ne
quitterons plus le ballet des corps morts ou blessés,
traqueurs ou traqués, solitaires, colériques ou
critiques. Ingénieuse idée, d’ailleurs, qu’Eric
Bana, nouvelle gueule intuitive dans la
famille Spielberg, tranchant singulièrement
avec les masses brutes et uniformes que sont les
deux Tom, Hanks et Cruise. De son
apprentissage en direct, loin des bureaux où s’élaborent
théories et règles d’or, l’Avner de Spielberg
découvre l’artisanat bancal des activités
terroristes, où la logique trop simple de sa
propre activité secrète se heurte à celle
d’une multitude d’autres groupes :
« des nœuds de secrets » comme
le signale son informateur français, avec le
risque toujours possible de croiser la mort à
chacun de ses carrefours. Sur le terrain, l’idéologie
s’efface donc au profit d’une efficacité
maximale. Ce qui, au préalable, faisait
opposition (Palestiniens et Juifs par exemple) se
réduit à un simple combat corps à corps, jeu
vidéo grandeur nature, d’homme à homme. Les
tentations idéologiques finissent toujours par se
consumer dans la fumée de destins individuels
sacrifiés.
Voilà
le point crucial. Quand Israël lui demande de
rentrer au pays, Avner choisit l’exil américain
comme une réponse - par-delà le temps - au doigt
tendu à la fin de Schindler. Aveu d’échec,
pas tant d’un Etat solide comme le roc, que des
perspectives d’épanouissement pacifique de
l’individu. Voir cette scène magnifique de
crise paranoïaque du guerrier, éventrant
matelas, téléphone et téléviseur à l’affût
d’une charge plastique, et contraint au bout du
compte de chercher le sommeil au fond d’un
placard. En 1982, Spielberg cachait dans ce
même placard son E.T. pourchassé par les
humains. Vingt-cinq ans plus tard, il est donc
l’ultime refuge de l’homme traqué. Plus rien
à attendre hors de la solitude, sinon dans le
cocon familial, vestige de paix durable (vieille
obsession spielbergienne). Tout salut passe une
fois encore par l’exil. Sauf que cette fois -
plan final sur les Twin Towers d’avant la chute
– l’espoir n’est plus permis : la
violence gagne toujours à la fin.
Christophe
Malléjac
Film
américain (2005) – 2 H 40 – Sortie le 25
janvier 2006
Avec Eric Bana, Daniel Craig, Mathieu Kassovitz
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