My
architect de
Nathaniel Kahn 1/2
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Jusqu’à présent les trois
documentaires les plus remarquables de l’année 2004
se sont intéressés à des groupes ou des faits de société
à travers le prisme de la politique ou de l’actualité.
Ainsi La vie comme elle va suit la vie paisible
et sympathique d’un petit village aveyronnais ; Farenheit
9/11 est le brûlot anti-Bush que l’on sait et Mémoire
d’un saccage revisite l’histoire de la faillite
argentine. Il est donc assez rare que le documentaire se
fixe sur une histoire de famille dont a priori le
spectateur pourrait ne pas avoir grand-chose à faire, mû
au mieux par une gêne pudique ou au pire par un désintérêt
total.
Cependant,
quand la famille en question a un destin particulier ou
exerce une activité hors du commun, il y a fort à
parier que l’évocation de son histoire peut
satisfaire la plus débridée des curiosités.
A l’issue de la projection de My architect, le
sentiment est double : d’abord, on est persuadé
d’avoir côtoyé pendant deux heures un génie, un
homme talentueux et visionnaire, pourtant pétri de
contradictions ; ensuite on est vachement heureux
que son fils qu’il a à peine connu ait eu l’envie
de partir à la recherche des traces et du travail de
son père. Car cela donne le plus beau documentaire de
cette année, où le particulier renvoie au général, où
il est question de filiation et de création. Bougrement
intelligent, intime et bouleversant. Jamais pathétique,
ni racoleur.
Lorsque
Louis Kahn, un des grands architectes américains du
vingtième siècle meurt d’une crise cardiaque tel un
miséreux dans les toilettes de la gare Penn Station,
son fils Nathaniel et sa mère Harriett ne sont pas
mentionnés dans l’avis nécrologique et sont tenus éloignés
de l’enterrement. En effet, Harriett fut une des
assistantes de Louis ainsi que sa jeune maîtresse –
ils avaient plus de trente ans de différence. Nathaniel
n’apprendra que plus tard l’existence de ses demi-sœurs,
filles d’Esther l’épouse officielle et de la première
maîtresse. Frustré d’avoir si peu connu son père et
désireux de comprendre le cafouillage de sa vie privée
et la réussite de sa vie professionnelle, Nathaniel étudiant
en histoire de l’art décide de réaliser un film sur
Louis Kahn.
Le propos du film est double. Il se penche dans un
premier temps sur la vie même de Louis, juif
d’origine estonienne, petit homme au physique ingrat,
au visage couvert de cicatrices provoquées par des brûlures
accidentelles. Emigré très tôt aux Etats-Unis, le
jeune homme tant passionné de piano qu’il préféra
se séparer de son lit pour y installer l’instrument
sur lequel il jouait et dormait, révèle vite des
talents de dessinateur. Des années plus tard, il
devient donc un des plus grands architectes de son temps
et le second volet du film s’attelle à comprendre et
à mettre en perspective le travail de Louis Kahn, dont
la qualité tardivement reconnue prend le pas sur la
quantité. Influencé par l’architecture antique
(surtout égyptienne), Louis Kahn n’a eu de cesse
d’inscrire son travail dans la durée. Grâce à de
multiples entretiens avec des anciens collègues ou
d’autres architectes, Nathaniel s’interroge sur les
méandres de la création. Et c’est absolument
passionnant. Mais ses interrogations respectueuses sont
aussi mêlées du doute coriace sur les errements de la
vie privée. Il est même étonné que sa propre mère
qui n’a jamais cru au divorce de Louis n’éprouve
aucune animosité.
Lors
d’un voyage au Bangladesh où Louis a réalisé son œuvre
majeure, Nathaniel trouve la réponse et la paix :
l’amour universel que portait Louis aux hommes concrétisé
par ses réalisations ne pouvait pas être compatible
avec l’amour exigu offert par une famille même triplée.
La
démarche du réalisateur qui mélange rencontres et
documents d’époque dans un format simple est si sincère
et généreuse qu’elle s’accompagne d’une émotion
incroyable. Ce parcours du pardon et du deuil, de la libération
du poids du passé et de l’influence formidable d’un
père exceptionnel offre un moment de cinéma unique. Et
l’on est tout à fait convaincu que le talent du père
a été transmis au fils.
Patrick
Braganti
Américain
– 1 h 56 – Sortie le 13 Octobre 2004
Avec
Nathaniel Kahn, Edmund Bacon, Louis Kahn
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