La nuit de la vérité
de Fanta Regina Nacro
[4.5]
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A l’heure du rabais britannique, des concerts rock en stéréo megalopolis, il peut paraître soit dérisoire soit insensé de sortir sur les écrans un film en forme de fable sur le génocide du Rwanda. Que
La Fontaine ait instillé en nous l’idée qu’une fable soit une parabole légère en forme de redistribution du bien et du mal à travers corbeau, renard, lièvre ou tortue, ne doit pas faire oublier qu’il peut y avoir des fables gigantesques, indescriptibles, comme l’est par exemple cette Nuit de la vérité de la réalisatrice burkinabé
Fanta Regina Nacro.
En tandem avec le scénariste français Marc Gautron, Nacro tente de dresser un portrait de la haine sanguinaire (et centenaire) entre Hutus et Tutsis à travers deux ethnies
"inventées", les Nayaks et les Bonandés.
Le film s’ouvre sur une mère pleurant son fils au pied de la pierre tombale (*).
Quelques mètres en arrière, deux hommes semblent attendre la fin du recueillement, impatients, gigotants. L’un des deux est pourtant le père de l’enfant disparu. Il est aussi le président des Nayaks. Une fois revenu chez lui, le couple (très belle séquence d’intimité conjugale, assez différente des clichés que l’on prête au cinéma africain) reçoit un appel téléphonique improbable : celui du chef des rebelles : le colonel Bonandé, et donc en bout de course, responsable de la mort de l’enfant assassiné.
A quoi rime cet appel en forme de calumet de la paix ?
Le colonel veut mettre un terme symbolique aux tueries en organisant une
"nuit de la vérité", sous une lune cathartique qui réunira les deux peuples, les deux pouvoirs, afin de chasser les fantômes, enterrer définitivement la haine et repartir du bon pied.
L’épouse est sceptique, le mari indécis. Il se laisse convaincre, pourtant, et accepte une entrevue et la cérémonie.
Le ventre du film repose ensuite sur les préparatifs de cette nuit de réconciliation : nous suivons les faits, gestes et palabres de citoyens des deux bords. Comme on dit chez
Delarue "les souvenirs remontent à la
surface". Le spectateur occidental oublie alors la fable et vit une sorte de documentaire impossible, inouï, où les habitants, survivants ou témoins du génocide, laissent parler leur
cœur.
Vient ensuite la nuit. De symbolique qu’elle soit (nous avons assisté à la préparation des plats, celle des régiments...) elle nous met enfin face à l’histoire avec un grand H. Comme un grand jeu de ciné-réalité, nous nous apprêtons ENFIN à comprendre les raisons du massacre entre deux peuples que seuls quelques centaines de mètres séparent, en bref (!) nous allons comprendre comment des millions de personnes ont pu périr dans une guerre
insensée, maraboutée.
La paix est-elle possible ? La encore, la femme boucle la boucle, sous les traits d’une vieille métisse, qui fut sauvée du carnage par le colonel rebelle.
Tout redémarre, et les images qui viennent sous nos yeux sont à la limite du soutenable. L’absurde, l’aléatoire, s’emparent à nouveau de l’esprit humain, de sa raison...
Pour voir comment les démons du passé agitent l’âme des peuples, et savoir si une issue est possible, on ira voir cette
Nuit de la vérité...
Pierre
Gaffié
(*) Il s’agit en fait de la deuxième séquence du film... La
"vraie" première séquence montre des hommes avançant sous le soleil couchant, sur la crête d’une colline. A la manière des images de fin de
"Full metal Jacket", ils semblent incarner la mécanique sans fin de la guerre, ou de l’exil...
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