cinéma

Ordo de Laurence Ferreira Barbosa 

 

 

    Ordo, titre du dernier film de Laurence Ferreira Barbosa, absente des écrans depuis La vie moderne en 1999, est un prénom grec, qui est aussi celui du personnage principal. Un patronyme qui évoque l’ordre, l’ordonnancement de toute une vie.

Les premières minutes du film ne nous donnent pas en fait une autre impression par cette avalanche de dates et de lieux qui situe le parcours d’Ordo, déjà marié deux fois, engagé puis réengagé dans la Marine française après une expérience ratée de mécanicien. Cependant, on ne saisit pas bien où ce début traité avec rythme et humour va nous conduire. La réponse va provenir d’un journal people où les collègues marins d’Ordo trouvent la photo de son premier mariage avec la toute jeune Estelle ; mariage qui avait peu duré car la jeune fille ayant dissimulé sa minorité avait été violemment récupéré par une mère folle et possessive.

 

    Mais voilà, la jeune Estelle s’est métamorphosée en Louise Sandoli (est-ce bien la même Marie-José Croze qui décrocha le prix d’interprétation à Cannes en 2003 ? on reste songeur ), actrice de cinéma populaire, véritable réservoir à fantasmes des hommes. Autant dire que l’entourage d’Ordo le regarde soudain d’un autre œil, à la fois ironique et concupiscent. Ordo, qui a bien du mal à reconnaître Estelle en Louise, décide de la retrouver pour comprendre ses motivations et éventuellement lever le mystère de cette transformation radicale.

 

    La talentueuse scénariste attitrée de Cédric Kahn adapte donc un roman de Donald H.Westlake, à la limite de l’étrange car la question de l’usurpation d’identité, et accessoirement de la disparition d’Estelle, plane tout au long du film. Dès lors, il faut s’interdire d’en ajouter davantage.

Laurence Ferreira Barbosa en profite aussi pour dresser au vitriol un tableau du milieu du cinéma. En effet, lorsqu’ Ordo retrouve Louise, par le truchement de son agent un peu trop caricatural, celle-ci est en plein tournage sur la Côte d’Azur. Partageant sa villa, les moments de travail et les soirées alcoolisées, Ordo le discret habitué à la discipline découvre un monde de faux semblants et de coucheries, où l’hypocrisie le dispute à la perfidie. Il regarde ce spectacle désolant et vide avec recul et ironie, ne parvenant pas à relier entre elles Estelle et Louise, à renouer en fait avec son passé.

C’est là tout le sujet du film : entre Ordo désireux de revivre ses jeunes années et de retrouver celle qu’il a le plus aimée selon sa propre déclaration et Louise faisant table rase de son passé jusqu’à l’amnésie (volontaire ?), se crée forcément un abîme que l’arrivée de la mère de Louise (impayable Marie-France Pisier) creuse encore un peu plus.

 

    L’attrait majeur du film réside aussi en l’interprétation parfaite de Roschdy Zem. Ce jeune acteur marocain à la filmographie exigeante et diversifiée injecte la retenue et la sobriété nécessaires au rôle, et propose un jeu tout en intériorités et en finesses. Par son entregent, on entre mieux dans ce film pas forcément aimable, pas toujours captivant, sans doute un peu long et répétitif.

Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel et J’ai horreur de l’amour avaient en leur temps davantage marqué notre mémoire, et à l’instar de Danièle Dubroux autre cinéaste en mauvaise passe, on peut regretter la baisse de régime manifeste d’une réalisatrice que l’on a connu mieux inspirée.

 

Patrick Braganti

 

Français – 1 h 45 – Sortie 15 Septembre 2004

Avec Roschdy Zem, Marie-Josée Croze, Marie-France Pisier, Yves Jacques, Scali Delpeyrat