Comme
toutes les grandes comédies, Palais Royal !
est d’abord un film politique. Pas tant car
l’action se déploie dans un milieu - les salons
dorés d’une monarchie d’Europe – où chaque
acte comporte une valeur fondamentalement
politique (d’où l’importance d’assurer un
certain maintien), que par la morale sans ambiguïté
que laisse planer l’ensemble. L’éclat des
valeurs à l’œuvre dans le conte de fée
classique – la citrouille changée en princesse
– tel qu’il apparaît ici dans sa variation
2005 (un prince glandeur, héritier bâtard
d’une couronne aux accents belges) recouvre le
spectre bien réel d’une duperie assumée voire
nécessaire, pire : indispensable à tout
projet d’envergure. C’est en se travestissant
que la Princesse Armelle devient l’héroïne des
foules, l’amie des adolescentes, des bourgeoises
et des foyers modestes. C’est en usant de la
rouerie, du mensonge et de la tromperie, y compris
envers ses propres enfants (« maman, tu te
souviens quand tu étais gentille ? »
dit l’une d’elle), qu’écartée des festivités
(anniversaire de la Reine-Mère, Catherine
Deneuve en poule corrompue) elle y revient en
tornade, rompant l’équilibre stratégique,
nouvelle idole des foules – qu’elle méprise
avec avidité, qu’elle utilise dans l’unique
but d’assumer sa vengeance personnelle.
Ces
foules éplorées, lors de grandioses funérailles
avec fleurs par milliers, portrait géant de la défunte,
Maurane en guise d’Elton John,
font planer un léger doute. Car constamment tournée
vers le Palais princier – de visu, ou via l’écran
de télévision – elles ressemblent trait pour
trait, dans leur posture d’observatrices, à ces
spectateurs de salles de cinéma – donc du
palais - que nous sommes dans le même temps.
Spectateurs invités au grand show Lemercier,
qui veille même à égaliser la situation des
foules de l’écran sur la nôtre : sur sa
seule initiative, une journée portes ouvertes est
organisée au château, des couloirs dérobées
(comme l’œil de la caméra nous emmène dans
les coursives) conduisent au centre du sanctuaire
où la Reine-Mère se dévoile dans ses quartiers
privatifs. Vu sous cet angle – et puisque le
cadre est vicié - il paraît bien difficile de ne
pas se demander après coup quel juste distance
observer afin de s’éviter l’erreur du réflexe
panégyrique ou trop naïf. Le rire fuse tout au
long du film, les gags s’enchaînent vite et
bien dans une déclinaison chaplinesque (on pense
parfois au Dictateur) ou boulevardière
(adultère en flagrant délit, entartrage de
rigueur). Or si la galerie de personnages – rôles
principaux ou secondaires – est certes travaillée,
même creusées, elle finit peu à peu (voire
brusquement comme Denis Podalydès) par
laisser place à la seule présence de la
Princesse Armelle, alias Valérie Lemercier,
occupante quasi-unique de l’écran dans la dernière
partie du film. Une tentative d’explication de
la duperie se dessine : vous m’aimez,
semble-t-elle dire au spectateur (qu’elle
regarde à plusieurs reprises droit dans les
yeux), mais pour de mauvaises raisons. Ou
encore : vous m’aimez mais je vous
utilise (comme cet enfant black lors de sa
visite de l’hôpital). Cette incertitude mise
en abyme à travers son Palais Royal !
donne au film une double dimension interrogeant,
au-delà d’un geste politique pointé du doigt,
son propre travail créatif.
Comédie
politique enfin sur un autre terrain : celui
de la guerre du cinéma à travers le monde. Palais
Royal ! est un vrai film européen, ancré
dans les entrailles de sa géographie (de la
Belgique à Londres en passant par Monaco) et de
son inconscient collectif (le vieux manège des
monarchies plus ou moins de pacotille). Il
constitue une alternative crédible au cinéma
grand public américain, qu’on l’importe ou le
reproduise (maladroitement la plupart du temps)
sur le vieux continent. Face à la domination des
mastodontes d’outre-atlantique, son discours -
inaudible là-bas – touche en plein cœur de
cible et son succès n’est pas volé. Qu’il
soit une leçon pour tous les formateurs obsédé
d’Amérique : les mines d’or sont sous
nos pieds.
Christophe
Malléjac
Film
français (2005) – 1 H 40 – Sortie le 23
novembre 2005
Avec
Valérie Lemercier, Catherine Deneuve, Lambert
Wilson.
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