cinéma

Palais Royal ! de Valérie Lemercier

[4.5]

 

 

Comme toutes les grandes comédies, Palais Royal ! est d’abord un film politique. Pas tant car l’action se déploie dans un milieu - les salons dorés d’une monarchie d’Europe – où chaque acte comporte une valeur fondamentalement politique (d’où l’importance d’assurer un certain maintien), que par la morale sans ambiguïté que laisse planer l’ensemble. L’éclat des valeurs à l’œuvre dans le conte de fée classique – la citrouille changée en princesse – tel qu’il apparaît ici dans sa variation 2005 (un prince glandeur, héritier bâtard d’une couronne aux accents belges) recouvre le spectre bien réel d’une duperie assumée voire nécessaire, pire : indispensable à tout projet d’envergure. C’est en se travestissant que la Princesse Armelle devient l’héroïne des foules, l’amie des adolescentes, des bourgeoises et des foyers modestes. C’est en usant de la rouerie, du mensonge et de la tromperie, y compris envers ses propres enfants (« maman, tu te souviens quand tu étais gentille ? » dit l’une d’elle), qu’écartée des festivités (anniversaire de la Reine-Mère, Catherine Deneuve en poule corrompue) elle y revient en tornade, rompant l’équilibre stratégique, nouvelle idole des foules – qu’elle méprise avec avidité, qu’elle utilise dans l’unique but d’assumer sa vengeance personnelle.

 

Ces foules éplorées, lors de grandioses funérailles avec fleurs par milliers, portrait géant de la défunte, Maurane en guise d’Elton John, font planer un léger doute. Car constamment tournée vers le Palais princier – de visu, ou via l’écran de télévision – elles ressemblent trait pour trait, dans leur posture d’observatrices, à ces spectateurs de salles de cinéma – donc du palais - que nous sommes dans le même temps. Spectateurs invités au grand show Lemercier, qui veille même à égaliser la situation des foules de l’écran sur la nôtre : sur sa seule initiative, une journée portes ouvertes est organisée au château, des couloirs dérobées (comme l’œil de la caméra nous emmène dans les coursives) conduisent au centre du sanctuaire où la Reine-Mère se dévoile dans ses quartiers privatifs. Vu sous cet angle – et puisque le cadre est vicié - il paraît bien difficile de ne pas se demander après coup quel juste distance observer afin de s’éviter l’erreur du réflexe panégyrique ou trop naïf. Le rire fuse tout au long du film, les gags s’enchaînent vite et bien dans une déclinaison chaplinesque (on pense parfois au Dictateur) ou boulevardière (adultère en flagrant délit, entartrage de rigueur). Or si la galerie de personnages – rôles principaux ou secondaires – est certes travaillée, même creusées, elle finit peu à peu (voire brusquement comme Denis Podalydès) par laisser place à la seule présence de la Princesse Armelle, alias Valérie Lemercier, occupante quasi-unique de l’écran dans la dernière partie du film. Une tentative d’explication de la duperie se dessine : vous m’aimez, semble-t-elle dire au spectateur (qu’elle regarde à plusieurs reprises droit dans les yeux), mais pour de mauvaises raisons. Ou encore : vous m’aimez mais je vous utilise (comme cet enfant black lors de sa visite de l’hôpital). Cette incertitude mise en abyme à travers son Palais Royal ! donne au film une double dimension interrogeant, au-delà d’un geste politique pointé du doigt, son propre travail créatif.

 

Comédie politique enfin sur un autre terrain : celui de la guerre du cinéma à travers le monde. Palais Royal ! est un vrai film européen, ancré dans les entrailles de sa géographie (de la Belgique à Londres en passant par Monaco) et de son inconscient collectif (le vieux manège des monarchies plus ou moins de pacotille). Il constitue une alternative crédible au cinéma grand public américain, qu’on l’importe ou le reproduise (maladroitement la plupart du temps) sur le vieux continent. Face à la domination des mastodontes d’outre-atlantique, son discours - inaudible là-bas – touche en plein cœur de cible et son succès n’est pas volé. Qu’il soit une leçon pour tous les formateurs obsédé d’Amérique : les mines d’or sont sous nos pieds.

 

Christophe Malléjac

 

Film français (2005) – 1 H 40 – Sortie le 23 novembre 2005

Avec Valérie Lemercier, Catherine Deneuve, Lambert Wilson.

 

 

> Réagir sur le forum cinéma