Palindromes
de Todd
Solonsz
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Aviva est un palindrome ; il est donc possible de
le lire dans les deux sens. C’est aussi le prénom
d’une jeune adolescente d’une douzaine d’années
dont le rêve le plus cher est de devenir mère. Peut-être
parce que sa propre mère onctueuse et mielleuse lui a
évoqué le souvenir d’une lointaine cousine Dawn qui
après avoir été violée et mise enceinte, se suicida.
En tout cas, Aviva profite d’un séjour à la campagne
chez des amis de ses parents pour coucher avec le fils
de ceux-ci. Lorsque sa grossesse est avérée, ses
parents décident de la faire avorter contre son gré ;
sa mère la bombardant d’arguments spécieux et
abjects, comme une possible malformation, une tare
quelconque. De retour à la maison, Aviva fugue et
atterrit au milieu d’une famille de chrétiens
fondamentalistes : les Sunshine qui ont adopté un
tas de gamins handicapés ou malades, soignés à grands
renforts de prières, de chants religieux et de récitations
pieuses.
Le
retour d’Aviva à la maison célébré par une fête
est comme celui à la case départ, formant ainsi une
boucle, métaphore évidente des palindromes du
titre.
Le cinéma de Todd Solondz est singulier et aux
antipodes des produits formatés et conventionnels qui
nous viennent habituellement des Etats-Unis. Tout à
fait représentatif d’un art indépendant et personnel
qui n’hésite pas à se coltiner avec des sujets
difficiles qui hérissent la pudibonde Amérique. Ici ce
sont en substance l’avortement et la pédophilie. L’égoïsme
des parents d’Aviva n’a cure du désir de leur fille
de garder son bébé. Elle sera elle-même prise à
parti à son arrivée à la clinique par une horde enragée
de militants anti-avortements.
La
charge devient plus violente et dérangeante lorsque Solondz
place son héroïne au sein de cette famille
iconoclaste, plus proche de la secte que de la cellule
familiale d’ailleurs. On sait maintenant le rapport étroit
et pour le moins suspect que les américains
entretiennent avec Dieu, du premier d’entre eux à
tous ces péquenots réactionnaires et bien limités.
L’esprit chrétien si ardemment affiché ne les empêchant
pas d’aller supprimer un toubib qui pratique des
avortements.
Bien sûr, Solondz dénonce les maux de l’Amérique
de manière appuyée et pas toujours subtile. Mais
l’engouement que suscite son film provient avant tout
de l’aspect formel et ludique de celui-ci. L’emploi
de tons pastel, de couleurs acidulées, de comptines
enfantines donne à Palindromes un côté conte
qui n’est pas sans rappeler Alice au pays des
merveilles ou Le magicien d’Oz.
Cependant,
le plus insolite réside dans le caractère polymorphe
des actrices jouant Aviva. Pas moins de sept actrices
– et même un acteur - d’âge, de corpulence et même
de couleur différents pour incarner l’héroïne. Passé
l’effet de surprise, il faut avouer que l’on
s’habitue très vite à ce procédé qui renforce
l’intérêt et requiert l’attention et
l’intelligence du spectateur. L’identification au
personnage s’avère en conséquence impossible, ce qui
est aussi un facteur de déstabilisation. Comme l’est
l’adolescence avec ses métamorphoses du corps devenu
encombrant et nouveau.
Le réalisateur de Bienvenue dans l’âge ingrat
n’a rien perdu de sa férocité et de son désir d’épingler
les fausses valeurs de son pays. En optant pour une
construction giratoire et ludique, sa satire méchante
et monstrueuse n’en a pas moins d’effets. Nous
sommes plus proches de l’univers de Freaks que
de Virgin Suicides. La transgression comme sujet
d’un cinéma différent est encore possible de
l’autre côté de l’Atlantique et c’est plutôt
une bonne nouvelle.
Patrick
Braganti
Film
américain – 1 h 40
Sortie le 9 mars 2005
Avec
Ellen Barkin, Shayna Levine, Richard Masur
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