Eric Lartigaux est pour la première
fois infidèle à Kad et Olivier au cinéma,
après ses deux premiers longs-métrages (Mais,
qui a tué Pamela Rose? puis Un ticket pour
l'espace). Enfin, qu'on se rassure, il reste
proche du gang Canal+ (avec qui il a réalisé une
saison entière de H et certains sketchs
des guignols de l'info) avec Alain Chabat
producteur et acteur principal de Prête-moi ta
main. A quand un film complètement émancipé
? A noter, il a été assistant d'Emir
Kusturica (prononcer cha).
Alain Chabat joue le rôle de Luis, garçon
perdu au milieu de sa mère et de ses 5 sœurs.
S'il eût lors de sa jeunesse sa période de rébellion
- qui donne lieu à une introduction marrante, où
l'on voit Alain Chabat grimé en Robert
Smith (leader de The Cure) se comporter
de manière très convaincante comme un ado
romantique et attardé-, il se fit vite une raison
et décida de se la couler douce. Quel besoin
d'avoir une femme quand déjà 6 s'occupent de
vous? Devenu "Nez", c'est-à-dire
concepteur de parfum, car tellement obsédé par
le souvenir d'une petite amie perdue qu'il
s'acharna à reconstituer chimiquement son odeur,
il mène une vie paisible et assumée de vieux garçon.
Mais, au bout d'un moment -plus de 20 ans, quand même-,
l'une de ses sœurs, Marie (Luce Mouchet)
se rend compte que la situation n'est finalement
pas très avantageuses pour elles, et convinc sa mère
et ses sœurs qu'il est temps que Luis se trouve
une épouse pour s'occuper de lui. Elles lui
arrangent alors une trentaine de rendez-vous, que
Luis sabote sans se départir une seconde de son
flegme, proposant lorsque la fille n'est pas trop
moche un "plan cul". Jusqu'au jour où,
lassé de l'acharnement de ses soeurs, il imagine
un plan très simple: il va louer (si si) une
femme pour jouer le rôle de sa future épouse, et
celle-ci devra le planter le jour de son mariage,
ce qui le laissera le cœur brisé, et ainsi ses sœurs
lui lâcheront la grappe avec cette histoire de
mariage, mouahaha. Après quelques recherches
infructueuses, il finit par proposer le
"poste"
à la sœur de son collègue Pierre-Yves (Grégoire
Oestermann), Emma (Charlotte Gainsbourg),
qui accepte par besoin d'argent. La situation est
source de nombreux quiproquo et malentendu.
Ce qui frappe d'entrée dans "Prête-moi ta
main", c'est la bonne humeur dégagée
par le film : on sent une ambiance bon enfant et
le plaisir de raconter cette histoire. Plusieurs
moment imprévus laissés au montage viennent
confirmer cette impression : le fou rire de Grégoire
Oestermann face à Alain Chabat et son
"cure-dent de Jupiter", Zachary Pons,
jeune acteur de 4 ans qui lâche spontanément
à l'arrivée de Bernadette Lafont dans le
champ : "Oh non, pas elle", l'actrice ne
se laissant pas démonter et rebondissant même
sur cette réplique imprévue.
Alain Chabat est drôle et touchant
dans son rôle de quadragénaire égoïste et
satisfait de sa situation. Egal à lui même,
finalement, drôle tout en gardant une grande épaisseur
qui lui permet de passer aisément de l'absurde au
drame. Et Charlotte Gainsbourg, alors? Peu
habituée à ce registre, on la sent se lâcher de
plus en plus au fur et à mesure que le film
avance, jusqu'à provoquer de grands et francs éclats
de rire (notamment sur la réplique "je vais
faire caca", si si je vous assure faut le
voir pour le croire, elle est trop mignonne). Au début
on la sent un peu hésitante dans ce registre de
la comédie qu'elle ne connaît pas, puis elle s'y
habitue petit à petit jusqu'à être vraiment très
convaincante au milieu de tout ces joyeux lurons.
Raah et puis bon, son charme animal, là, lui il
est toujours là et on en est bien content. La
manière dont elle emballe Luce Mouchet est
très convaincante, notamment. On regrette presque
de la voir revenir à un registre plus classique
pour elle, celui de la fille solitaire, mystérieuse,
qui a une blessure secrète, tu vois.
Les seconds rôles sont tous très sympathiques, et
certains sont vraiment très drôles: Wladimir
Yordanoff est génial en patron ultra-expansif
et malheureux avec les femmes, Bernadette
Laffont imposante dans son rôle de matrone
qui psychosomatise à fond, Grégoire
Oestermann touchant en quadra fauché et un
peu largué.
Là ou le film fait très fort, c'est qu'il arrive
sans que cela ne choque à passer des scènes les
plus drôles à de vrais scènes émouvantes, qui
ne sont pas de simple bouches-trous entre deux
gags. Car Prête-moi ta main n'est pas
qu'une farce, c'est aussi une belle histoire, avec
de vrais personnages, un vrai scénario. On est
loin des gendarmes à Saint-Tropez, quoi.
La mise en scène d'Eric Lartigaux est discrète,
mais c'est le genre qui veut ça. Cela ne l'empêche
pas de se faire plaisir sur plusieurs belles
images/beaux plans, qui ponctuent le film,
toujours au service du récit, ajoutant une fois
une touche de poésie et de délicatesse, parfois
un côté kitch assumé. Nul besoin de trop en
faire ; les situations parlent d'elles mêmes.
Certaines scènes sont déjà mythiques, comme
celle où Charlotte Gainsbourg chevauche et
cravache Alain Chabat. Brrrr.
Prête-moi ta main, c'est le Dîner de
con avec le côté vieille France en moins.
C'est plus fun, y a plus de gros mots, mais ce
n'est pas complètement déjanté, l'histoire en
elle-même étant finalement assez classique.
Disons, c'est déjanté pour vos parents, quoi,
c'est du déjanté qui ne dépasse pas certaines
limites comme Bernie peut le faire. Enfin ;
Prête-moi ta main fait passer un excellent
moment, on en sort tout guilleret et détendu, et
c'est ce qui en fait une réussite. Le bonheur,
c'est simple comme un coup de... comme un bon
film.
Adrien Potocnjak-Vaillant
Film français - 1h30 - Sortie le 1er novembre 2006
Avec Alain Chabat, Charlotte Gainsbourg, Bernadette
Lafont
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