cinéma

Prête-moi ta main de Eric Lartigaux

[4.0]

 

 

Eric Lartigaux est pour la première fois infidèle à Kad et Olivier au cinéma, après ses deux premiers longs-métrages (Mais, qui a tué Pamela Rose? puis Un ticket pour l'espace). Enfin, qu'on se rassure, il reste proche du gang Canal+ (avec qui il a réalisé une saison entière de H et certains sketchs des guignols de l'info) avec Alain Chabat producteur et acteur principal de Prête-moi ta main. A quand un film complètement émancipé ? A noter, il a été assistant d'Emir Kusturica (prononcer cha).

 

Alain Chabat joue le rôle de Luis, garçon perdu au milieu de sa mère et de ses 5 sœurs. S'il eût lors de sa jeunesse sa période de rébellion - qui donne lieu à une introduction marrante, où l'on voit Alain Chabat grimé en Robert Smith (leader de The Cure) se comporter de manière très convaincante comme un ado romantique et attardé-, il se fit vite une raison et décida de se la couler douce. Quel besoin d'avoir une femme quand déjà 6 s'occupent de vous? Devenu "Nez", c'est-à-dire concepteur de parfum, car tellement obsédé par le souvenir d'une petite amie perdue qu'il s'acharna à reconstituer chimiquement son odeur, il mène une vie paisible et assumée de vieux garçon. Mais, au bout d'un moment -plus de 20 ans, quand même-, l'une de ses sœurs, Marie (Luce Mouchet) se rend compte que la situation n'est finalement pas très avantageuses pour elles, et convinc sa mère et ses sœurs qu'il est temps que Luis se trouve une épouse pour s'occuper de lui. Elles lui arrangent alors une trentaine de rendez-vous, que Luis sabote sans se départir une seconde de son flegme, proposant lorsque la fille n'est pas trop moche un "plan cul". Jusqu'au jour où, lassé de l'acharnement de ses soeurs, il imagine un plan très simple: il va louer (si si) une femme pour jouer le rôle de sa future épouse, et celle-ci devra le planter le jour de son mariage, ce qui le laissera le cœur brisé, et ainsi ses sœurs lui lâcheront la grappe avec cette histoire de mariage, mouahaha. Après quelques recherches infructueuses, il finit par proposer le "poste"  à la sœur de son collègue Pierre-Yves (Grégoire Oestermann), Emma (Charlotte Gainsbourg), qui accepte par besoin d'argent. La situation est source de nombreux quiproquo et malentendu.

 

Ce qui frappe d'entrée dans "Prête-moi ta main", c'est la bonne humeur dégagée par le film : on sent une ambiance bon enfant et le plaisir de raconter cette histoire. Plusieurs moment imprévus laissés au montage viennent confirmer cette impression : le fou rire de Grégoire Oestermann face à Alain Chabat et son "cure-dent de Jupiter", Zachary Pons, jeune acteur de 4 ans qui lâche spontanément à l'arrivée de Bernadette Lafont dans le champ : "Oh non, pas elle", l'actrice ne se laissant pas démonter et rebondissant même sur cette réplique imprévue.

 

Alain Chabat est drôle et touchant dans son rôle de quadragénaire égoïste et satisfait de sa situation. Egal à lui même, finalement, drôle tout en gardant une grande épaisseur qui lui permet de passer aisément de l'absurde au drame. Et Charlotte Gainsbourg, alors? Peu habituée à ce registre, on la sent se lâcher de plus en plus au fur et à mesure que le film avance, jusqu'à provoquer de grands et francs éclats de rire (notamment sur la réplique "je vais faire caca", si si je vous assure faut le voir pour le croire, elle est trop mignonne). Au début on la sent un peu hésitante dans ce registre de la comédie qu'elle ne connaît pas, puis elle s'y habitue petit à petit jusqu'à être vraiment très convaincante au milieu de tout ces joyeux lurons. Raah et puis bon, son charme animal, là, lui il est toujours là et on en est bien content. La manière dont elle emballe Luce Mouchet est très convaincante, notamment. On regrette presque de la voir revenir à un registre plus classique pour elle, celui de la fille solitaire, mystérieuse, qui a une blessure secrète, tu vois.

Les seconds rôles sont tous très sympathiques, et certains sont vraiment très drôles: Wladimir Yordanoff est génial en patron ultra-expansif et malheureux avec les femmes, Bernadette Laffont imposante dans son rôle de matrone qui psychosomatise à fond, Grégoire Oestermann touchant en quadra fauché et un peu largué.

 

Là ou le film fait très fort, c'est qu'il arrive sans que cela ne choque à passer des scènes les plus drôles à de vrais scènes émouvantes, qui ne sont pas de simple bouches-trous entre deux gags. Car Prête-moi ta main n'est pas qu'une farce, c'est aussi une belle histoire, avec de vrais personnages, un vrai scénario. On est loin des gendarmes à Saint-Tropez, quoi.

La mise en scène d'Eric Lartigaux est discrète, mais c'est le genre qui veut ça. Cela ne l'empêche pas de se faire plaisir sur plusieurs belles images/beaux plans, qui ponctuent le film, toujours au service du récit, ajoutant une fois une touche de poésie et de délicatesse, parfois un côté kitch assumé. Nul besoin de trop en faire ; les situations parlent d'elles mêmes. Certaines scènes sont déjà mythiques, comme celle où Charlotte Gainsbourg chevauche et cravache Alain Chabat. Brrrr.

 

Prête-moi ta main, c'est le Dîner de con avec le côté vieille France en moins. C'est plus fun, y a plus de gros mots, mais ce n'est pas complètement déjanté, l'histoire en elle-même étant finalement assez classique. Disons, c'est déjanté pour vos parents, quoi, c'est du déjanté qui ne dépasse pas certaines limites comme Bernie peut le faire. Enfin ; Prête-moi ta main fait passer un excellent moment, on en sort tout guilleret et détendu, et c'est ce qui en fait une réussite. Le bonheur, c'est simple comme un coup de... comme un bon film.

 

Adrien Potocnjak-Vaillant

 

Film français - 1h30 - Sortie le 1er novembre 2006

Avec Alain Chabat, Charlotte Gainsbourg, Bernadette Lafont