Qui
aurait cru qu’El
Chato, célèbre pour son tube d’un été La
chunga nous donnerait l’un des plans les
plus bouleversants du cinéma français récents
et peut-être l’un des plus beaux jamais cadrés
sur le visage de Gérard
Depardieu ?
Quand
Alain Moreau, le chanteur de baloche que décrit Xavier Giannoli dans son film évoque à la jeune agente immobilière
Marion (Cécile
de France) les tubes qu’il interprète sur
scène, et cite donc La
chunga, la salle de cinéma retient son
souffle (j’avoue l’avoir fait aussi). Car ce
dont il s’agit est du combat entre le premier et
le second degré, entre la gentillesse avec
laquelle un film traite son personnage ou, dans
bien d’autres malheureux exemples, du mépris.
Pendant
une demi-seconde, on se dit que va venir une
moquerie, que bien sûr il n’est pas question
qu’en 2006 un film puisse ne pas ridiculiser un
chanteur éphémère, et son réalisateur ne pas
prendre le parti des moqueurs.
Alors,
on attend et Depardieu répéte “El
Chato”, qu’il apprécie. Et que Marion ne
connaît pas. Différence d’âge, différentiel
culturel : c’est dans cette histoire
d’attraction (im)possible (le dernier plan du
film laisse planer tous les doutes) dans les
interstices même que Giannoli nous comble. Alors
qu’on voit mal comment, surtout avec l’arme du
final cut qu’il détient probablement, il a pu
laisser autant de trous dans son script, ou autant
d’ellipses parfois mal négociées.
Oui,
mais voila, quand le courant passe au cinéma,
tout se dépasse. C’est un des mystères de
l’alchimie et Quand
j’étais chanteur en bénéficie.
Les
contrats échafaudés un matin dans un bar avec un
acheteur qui envisage pourtant un karaoke à la
place de l’orchestre de Moreau ? Ca passe. Les
visites de maisons qu’organise Marion pour
Alain, au gré de ses changements d’humeur et
d’avenir, cela passe aussi. Et bien.
Et
on n’est pas près d’oublier la très belle séquence
où Alain entraîne Marion au sommet des volcans
auvergnats. On en sort galvanisé, ému, car on décèle
vraiment ce que Depardieu peut apporter à un
personnage qui lui ressemble vraiment... Quand il
s’agit d’un terrien, comme Martin Guerre ou le
fermier de 1900
de Bertolucci.
Il
y a aussi une splendide audace de la part de
Giannoli scénariste d’avoir échafaudé un
chanteur de bal qui, même s’il vend ces CDs à
la sortie, ne se fond pas dans les clichés (du
moins les miens) des musicos enfumés. Un cheval
et surtout une chèvre vivent sous le toit (pour
la seconde littéralement !!!) d’Alain Moreau et
quand Marion, hésitante sur ses propres
sentiments vient rejoindre le chanteur “pathétique”
qu’elle a éconduit, le premier réflexe de ce
dernier (terrassé, imbibé, surdosé en somnifères)
une fois sorti du lit est “d’ouvrir la porte
à sa biquette”. Là aussi, Depardieu est insensément
bon. On ne sait plus vraiment où commence le
portrait et où se prolonge ses propres racines
campagnardes.
Finalement,
ce qui devait être le clou du film, son acmé scénaristique
(à moins qu’il ne s’agissât d’une fausse
piste) à savoir la consécration qu’obtient
Moreau en passant dans une grande salle en première
partie de Christophe
(le vrai...) tombe à plat ou plutôt dans le
vide.
Comme
si, finalement, à force de nous avoir tenu sur la
simple force des sentiments, et du quotidien
d’une jeune femme en souffrance (le premier mari
de Marion est mort, et elle peine à s’imposer
en mère de sa petite fille), le film nous avait
tellement élevés qu’il dégringole dans un
suspense qui rappelle malheureusement la médiocre
fin de Jean-Philippe
: chantera t’il ?
Mais
cette réserve ne doit pas dissuader de voir ce
film et surtout de le voir en salles. Car
l’image de Yorick
Le Saux est magnifique, et le montage de Martine
Giordano particulièrement subtil, notamment
quand il s’agit de montrer les silences entre
les amants potentiels.
Pierre
Gaffié
PS
/ Comme pour les deux-tiers des films français
actuels, on ne manquera pas de s’énerver du
sempiternel “placement de produits”
(c’est
aujourd’hui un métier à part entière) qui
jonche le film. On se souvient de l’inénarrable
Lavazza de Peindre
ou faire l’amour, ici on a droit à un
Perrier toutes les demis-heures...
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