Quand
la mer monte de Yolande
Moreau
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« Une grande histoire d’amour
qui commence. Et c’est ça qui est important. Le début
des grandes histoires d’amour. La fin, on s’en fout ».
Cet extrait du spectacle Sale affaire qu’Irène
joue chaque soir dans le Nord, entre France et Belgique,
résume très bien la trame du film. Irène exerce son métier
de saltimbanque avec passion, sa vie de famille évoquée
par quelques coups de téléphone ne lui pose pas de
problèmes particuliers. Elle rencontre Dries, un
« porteur de géants », ces
impressionnants personnages qui défilent dans tous les
carnavals de la région. Entre eux deux, une tendre
complicité s’installe, Dries devient Poussin,
celui qu’Irène choisit d’habitude dans la salle
comme partenaire de sa fameuse histoire d’amour. La
frontière ténue entre le spectacle et la réalité
disparaît progressivement et ouvre l’occurrence de
cette escapade amoureuse.
Ce premier film de la comédienne Yolande
Moreau et du directeur de la photographie Gilles
Porte se singularise par sa tendresse et sa poésie,
le mariage réussi de la réalité et du rêve. En
effet, il prend racine dans le spectacle Sale affaire,
pièce que l’actrice créa et joua dans les années
80. Tous les moments de la représentation, du
maquillage aux réactions des spectateurs, ont ainsi été
filmés sans répétition, en une seule prise. Ce qui
insuffle au film un caractère d’authenticité. Et
donne en même temps à réfléchir sur la condition
particulière d’une artiste solitaire, espèce de
V.R.P. du théâtre, qui loge dans des hôtels de
seconde zone et se produit dans des endroits pas
toujours glorieux et disparates, comme des cafés-théâtres,
des salles municipales ou des fêtes locales. Un aspect
quasi documentariste captivant et bien restitué.
Cet ancrage dans la réalité rend d’autant plus irréelle
ou onirique l’histoire d’amour naissante entre Irène
et Dries. Si l’une s’offre un moment d’égarement
dans une vie devenue routinière, peut-être l’autre
en attend-il autre chose, rendant impossible tout
avenir. Le film offre là quelques belles scènes, comme
celle du repas d’après spectacle qui réunit de
modestes artistes à l’humour débridé et à la folie
contagieuse ou celle du bord de mer lorsque les couettes
et la robe d’Irène menacent de s’envoler. Saisies
dans une belle lumière, dans des paysages rudes et bas
de plafond, (trouvaille géniale de cette route bordée
d’arbres inclinés), ces images-là sont envahies de
poésie et nous enchantent.
L’évocation du Nord qui passe par le goût de la fête
et de la communauté, capable de délirer et de
s’amuser jusqu’au bout de la nuit, n’est pas sans
rappeler l’ambiance distillée par Karnaval,
l’excellent film de Thomas Vincent sorti en
1999.
Difficile de ne pas toujours rapprocher Yolande
Moreau de la sphère des Deschamps au théâtre
comme à la télévision. Ce serait oublier quelle
actrice généreuse elle a déjà été chez Varda,
Jeunet ou Cabrera. Prolixe, rigolote dans
son spectacle qu’elle présente masquée et grimée,
elle devient presque muette, à court de mots face à
Dries, personnage touchant, ermite réfugié au milieu
d’un ersatz de caverne d’Ali Baba peuplée par les
grosses têtes des géants. De ses yeux clairs, au
milieu d’un visage bonhomme, Yolande Moreau qui
fait parfois penser étrangement à Simone Veil
promène sur le monde un regard à la fois absent et
compassionnel.
Découvrir Quand la mer monte, qui doit son titre à
une chanson chère au cœur des gens du Nord, procure un
plaisir et un bonheur simples. A l’image de tous ces
visages entr’aperçus dans ce film modeste et honnête.
Patrick Braganti
Franco-belge – 1 h 33 – Sortie le 27 Octobre 2004
Avec
Yolande Moreau et Wim Willaert...
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