Qui
a tué Bambi ?
de Gilles
Marchand
|
|
|
|
L’arrivée tardive sur nos écrans du
premier long-métrage de Gilles Marchand
(après une présentation officielle au festival de
Cannes) est une sacrée bonne nouvelle. Celle d’avoir
désormais la certitude que le cinéma français dispose
avec le quintet constitué par Thomas Bardinet, Laurent
Cantet, Vincent Dietschy, Dominik Moll,
et donc Gilles Marchand, de personnalités fortes
et singulières, travaillant en groupe tout en préservant
les obsessions et la personnalité de chacun, et
capables de proposer une alternative sérieuse à la
fois aux productions grand public d’Europa, et aux
films « auteurisants » sclérosés dans leur
pose Nouvelle-nouvelle-nouvelle (etc.) Vague.
Qui a tué Bambi ?
séduit donc à un double niveau : il est un vrai
film d’auteur, fort, et courageux, sans compromis,
mais il n’oublie pour autant jamais le spectateur sur
le bord de l’écran.
Ce qui séduit d’emblée ici, c’est la forte
empreinte esthétique que Marchand imprime de la
première à la dernière minute, assumant totalement
ses influences : Hitchcock pour le titre
bien sûr, Kubrick à travers ces longs couloirs
immaculés, Lynch, de manière encore plus évidente.
L’importance de l’oreille (au sens propre), la
bande-son très travaillée (jusqu’à certaines
partitions ouvertement « badalamentiennes »),
l’accident de voiture, le tiroir-boîte de Pandore
sans fond du Dr Philipp qui renvoie à la désormais célèbre
boîte bleue de Mulholland Drive, etc., sont des
citations claires et revendiquées. Il peut d’autant
mieux se le permettre qu’il a réussi à saisir
l’essence de son cinéma, son équilibre fragile entre
le sensuel et le cérébral.
Bambi
est donc un grand film mental (avec l’hôpital-cerveau
comme unique cadre de l’action) qui donne énormément
à ressentir : voir l’extrême douceur et la
beauté qui se dégagent des terribles scènes durant
lesquelles le Dr Philipp rend visite à ses patientes la
nuit. Dans cette même optique « cérébrale »,
rien ne nous indique que le parcours initiatique d’Isabelle-Bambi
ne se déroule pas uniquement dans sa tête. C’est là
également que le film séduit véritablement : la
magnifique scène de divination du rêve par jeu de
questions-réponses entre Isabelle et le docteur met à
jour leur relation, sa nature, mais signifie également
au spectateur que de la même manière que celui qui se
prête à ce jeu invente son rêve, lui-même invente
son propre film. Beaucoup de choses sont ainsi laissées
en suspens, et aucune réponse pré-mâchée ne sera
apportée : la fin peut alors oser l’onirisme et
le symbolisme le plus total dans la scène de la forêt
(enfin nous quittons cet hôpital étouffant !) qui
finit de faire de lui un conte pour enfants cruel et
beau.
Mais le film fonctionne également au premier degré,
utilisant à merveille les fantasmes et les peurs que
chacun à des degrés divers projette sur le monde
hospitalier : on tremble (et on est séduit…) aux
côtés de la jolie élève-infirmière (Sophie Quinton
dans un premier rôle marquant) au cours de son enquête-apprentissage
aux côtés du mystérieux Dr Philipp (Laurent Lucas, très
charismatique). A l’image de Harry, un ami qui vous
veut du bien, auquel Gilles Marchand avait déjà
participé, Qui a tué Bambi ? peut être vu
comme un thriller classique. Une chose est sûre :
quelle que soit votre lecture du film, son venin
voluptueux continuera de se distiller en vous pendant
longtemps.
Laurent
|