Reconstruction
de Christoffer
Boe
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Ce premier long métrage du cinéaste danois Christoffer
Boe est un pari ambitieux : traiter du thème
de la rencontre amoureuse, à travers celle d’Alex
et d’une jeune femme qui porte bien son prénom, Aimée…
Le coup de foudre « fatal », qui existe
quand on flashe de visu sur la personne qui a déjà su
nous séduire dans nos rêves n’est, au fond, qu’une
re-connaissance d’âme à âme qui survient dans un
timing parfait qui nous fait basculer dans un ailleurs où
le passé et le futur ne répondent plus. C’est bien
connu, les retrouvailles ignorent le temps… Thème
largement traité au cinéma, puisque thème romanesque
au possible ! De là à tomber dans la mièvrerie
et le romantisme cul-cul, c’est un risque fréquent,
qu’heureusement Christoffer Boe réussit à
contourner, même si sa vision apparaît très
romantique.
L’autre écueil à éviter était le risque de rester
figé – comme pourraient le souhaiter d’ailleurs les
personnages – au moment clef de la rencontre, et de ne
pas aller plus loin, notamment d’éluder les conséquences
inévitables que ce rendez-vous du destin entraîne par
exemple… pour les deux protagonistes bien sûr, mais
aussi pour leur entourage qui, forcément, et bien malgré
lui parfois, fera tout pour essayer de faire clapoter
les choses, car l’amour bouscule tout et tout le
monde… Ainsi, le personnage d’August, l’écrivain
et mari trompé, qui devine tout et essaye de rattraper
son épouse en réécrivant leur histoire à sa manière,
espérant ainsi contrôler le cours des choses (vaste
illusion !), tentant aussi de dire ses sentiments
profonds par l’intermédiaire de son dernier livre
qu’il a dédicacé à sa femme… Moment pudique et
touchant mais pourtant vain… en tout cas dans
l’instant.
Et puis la confiance instinctive en l’autre, celle qui
permet de lever les doutes ultimes et de braver son
destin, alors que ce dernier apparaît justement déréférencé,
cette confiance là n’est malheureusement pas toujours
au rendez-vous, comme le suggère si bien le cinéaste…
Et le fait de se trouver confronté à soi-même, dans
toute sa solitude (forcément), de ne plus se reconnaître
– et être reconnu - dans son passé (normal, puisque
toutes les références sont « balayées »…),
d’être ainsi obligé de faire un choix, alors que
l’autre, qu’on re-connaît pourtant, ouvre des
abymes porteurs d’inconnu qui tout à la fois
fascinent et font peur, tout cela est traité ici avec
énergie et inventivité. Comme sont traités avec
pertinence le thème du double (Aimée et Simone,
la petite amie d’Alex, étant interprétées
par la même actrice), et le thème de l’illusion qui
envahit tout, sauf l’amour authentique et intemporel
qui surnage… Mais la vie n’est-elle pas du cinéma
ou de la littérature toujours et encore réinventés ?!…
Christoffer Boe nous entraîne dans un jeu de
miroirs fusionnels qui jonglent avec l’éternité, où
il est bien difficile de séparer la réalité du
fantasme… et où « l’être aimé » (idéalisé ?)
apparaît comme un condensé de toutes les rencontres
amoureuses, comme si aussi, encore et toujours, les mêmes
scénarii semblaient se répéter… semblent, car au
fond, il y a aussi dans ce film l’idée, très juste,
que chaque moment est unique, et ne se reproduira plus
jamais… moment de bonheur fugace à saisir
promptement, et que pourtant, on ne saisit pas toujours !
Ainsi, face à l’instant ultime du choix, Alex
a la liberté de se jeter à l’eau, de tout arrêter
ou… d’hésiter ! comme le lui rappelle la photo
de la femme sur laquelle il avait disserté avec Aimée,
photo affichée pourtant en grand dans le métro, mais
qu’il ne remarque même pas… il se retourne pour
chercher du regard Aimée qui, du coup, n’est
plus là… l’illusion a instantanément pris le pas
sur l’amour, parce que la confiance amoureuse
n’autorise pas les hésitations, elle demande tout,
tout de suite et sans restrictions ! Tout cela, Christoffer
Boe le traite avec intelligence, mais peut-être un
peu trop d’intellectualisme par moments, alors que
l’intuition devrait primer, comme dans les films de Lynch
ou de Kieslowski. Et comme dans Mulholland
drive, le spectateur se demande si, au fond, tout le
film n’est pas seulement le songe du personnage, qui a
laissé, au bord du lit de sa maîtresse qu’il regarde
dormir, son imagination dériver quelques instants,
jouer et ainsi construire, déconstruire et reconstruire
leur histoire…
Joli film donc sur la rencontre amoureuse qui peut être
magique, et donc illusoire – et joli film tout court
sur la rencontre synchrone avec son propre destin. Et
malgré les quelques maladresses qu’on peut néanmoins
voir dans le film (un sur-signifiant parfois un peu
pompeux et trop démonstratif, prétention qu’on peut
mettre sur le compte de la jeunesse…), on peut faire
le choix de les balayer, le traitement filmique
(mouvements de caméra, esthétisme, bande son…)
compensant largement cet état de fait !
Décidément,
l’année 2003 aura été fertile en premiers longs métrages
prometteurs. Voici ainsi un nouveau cinéaste danois
d’à peine 30 ans dont on entendra sûrement reparler
bientôt.
Cathie
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