Rêve d'usine de
Luc Decaster
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Depuis maintenant une année, alors que la gauche se
prenait une déculottée de première causée par son éloignement
de ses propres bases, les politiques et les média redécouvrent
l’existence d’une classe sociale laborieuse
(ouvriers et employés, en fait seulement distingués
par leur métier et environnement professionnel :
usines et bureaux, et certainement pas par leurs
conditions ou leurs perspectives d’avenir). Beaucoup
de bla-bla, peu d’actions et sans doute aucun
changement pour ces 14 millions d’actifs livrés en pâture
aux décisions peu compréhensibles à leurs yeux de
leurs dirigeants bien souvent à la solde
d’actionnaires à l’appétit d’ogre.
Pour décrire ces vies-là, le cinéma a de plus en plus
délaissé la fiction pour le documentaire, généralement
de bonne qualité. En effet, on peut compter sur les
doigts d’une main les films de fiction ayant pour
cadre ou pour objet la vie ouvrière. Il nous manque
toujours ici un cinéaste de la trempe de Ken Loach.
Par
contre, le documentaire est donc en grande majorité le
support utilisé ; le média étant d’ailleurs
invariablement la télé ou le cinéma. Nous avons vu il
y a quelques semaines le film de Patrick Jan La
raison du plus fort qui sillonnait la France à la
rencontre de gens rejetés ou broyés par le système et
le documentaire de Marcel Trilliat sur Les
Prolos, beau film émouvant et respectueux sur la
classe ouvrière.
Comme
on ne peut mettre en doute les louables intentions de Jan
et Trilliat, Decaster, d’abord
dessinateur industriel aux usines Chausson puis
professeur d’histoire, s’est ensuite dirigé vers la
réalisation de documentaires fortement marqués par son
intérêt pour les classes laborieuses.
Après La vie en vert en 1997, film qui relatait
la collaboration entre la SNCF et une association de réinsertion
visant à l’aménagement des friches le long des voies
ferrées par un groupe de jeunes en contrat
emploi-solidarité, Luc Decaster a ensuite tourné
en 2001 Rêve d’usine, compte rendu partisan et
réaliste de la bataille qui opposa, à l’annonce de
la fermeture du site, les ouvriers de l’usine Epéda
de Mer (Loir et Cher) à leurs patrons invisibles et
fuyants.
Le
film ne prend en compte que le point de vue des salariés
de l’usine. Il ne donne pas d’explications sur les
raisons – certainement peu reluisantes -
de cette liquidation. Il se veut un témoignage
direct et sans fioritures des conséquences sur la vie
quotidienne de 250 personnes et leur famille à
l’annonce d’une telle nouvelle, rupture totale et
brutale après souvent plus de 20 années d’un même
travail dans le même endroit.
Le plus terrible est sans doute de constater à quel
point les ouvriers sont désarmés, ne possédant pas
les clefs et les règles du système, les langages
appropriés pour se défendre contre des patrons ou même
des juges compétents et rompus aux exercices de négociations.
Lucides et conscients de leur triste sort de pions déplaçables
et remplaçables à l’infini, ces salariés perdus et
amers, mais qui restent dignes, solidaires et fiers de
la qualité de leur travail, sont ici l’illustration
froide et terrifiante d’un monde impitoyable et déshumanisé, livré aux seules lois des
marchés, montrant aussi en filigrane l’importance de
l’éducation et de la culture, devenues derniers
remparts de lutte et de résistance.
Patrick
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