Filmer
le sexe frontalement de manière non simulée est
un exercice excitant et périlleux. Passée la
curiosité lubrique, on craint toujours la même répétition
de gestes et positions mécaniques qui ne
distillent au final que tristesse et ennui. La
chair est en effet le plus souvent triste à l’écran,
surtout lorsque son exhibition s’accompagne de réflexions
philosophiques – qui se révèlent la plupart du
temps oiseuses et stériles – sur le destin de
l’homme. Si le cinéma des années 60 et 70
aborda la sexualité avec franchise et humour décapant,
situation favorisée par l’explosion de la libération
sexuelle sous toutes ses formes et sous de
nombreuses latitudes, les années 80 et suivantes
marquées par l’irruption également planétaire
du Sida furent beaucoup moins joyeuses et légères.
C’est
en ayant en mémoire l’esprit libertaire et
novateur de l’époque qui le vit naître au fin
fond du Texas en 1963 que John Cameron Mitchell,
artiste pluridisciplinaire, tout à la fois
acteur, metteur en scène de théâtre, cinéaste
et producteur, a entrepris de tourner une comédie
new-yorkaise, déjantée et érotisée. Shortbus,
qui fait référence aux petits bus destinés aux
gamins atteints d’une anormalité (surdité,
handicap physique, surdoué ou encore déficient
mental) en opposition aux grands bus jaunes chargés
de transporter les écoliers « normaux »,
met donc en présence chez eux et dans un club
underground lui aussi nommé Shortbus une
galerie de personnages plutôt atypiques et
marginaux, en rupture ou en inadéquation avec la
société qui les entoure et les agresse. Parmi la
clientèle disjonctée et farfelue de cet établissement
considéré comme un refuge polyvalent où tous
les malaises et les sentiments d’exclusion
peuvent s’exprimer dans la liberté et la
joyeuse pagaille propices à toutes les expérimentations,
le réalisateur s’attache davantage à quatre
personnages. Sofia, canadienne d’origine
asiatique, est une sexologue qui n’a jamais
connu l’orgasme, simulant son plaisir avec Rob
son mari qu’elle entretient dans la méprise
malgré leur couple en apparence libéré. James
et Jamie sont un couple homosexuel en plein désarroi,
ressentant le besoin de renouvellement qu’ils se
voient bien satisfaire en incluant à leurs
relations sexuelles un troisième partenaire.
Enfin, Severin est une maîtresse dominatrice qui
semble assouvir ses fantasmes et trouver son
bonheur dans des rapports violents et de totale
soumission.
Inutile
de dire qu’en dépit de cette apparente absence
de tabous, cette capacité à parler de tout et à
intellectualiser le sexe, tout ne va pas pour le
mieux chez Sofia et les autres. John Cameron
Mitchell choisit donc d’utiliser le langage
de la sexualité sans artifice ni mièvrerie comme
une métaphore de la vie en général. Il se et
nous demande en quoi la sexualité régit et
impacte l’existence de ses personnages. Qu’a
à résoudre Sofia dans son couple pour pouvoir
atteindre l’orgasme ? Qu’est ce que le
duo si solide et si autarcique de James et Jamie,
garçons tellement mignons et gentils qu’ils
provoquent la convoitise de leur entourage, peut
cacher comme fêlures ? Et Severin, est-elle
aussi forte et autoritaire que ses pratiques le
laissent croire ?
D’abord
drôle et enlevé, tenant de la comédie de
boulevard transposée dans un milieu artistique et
intello, Shortbus gagne en intensité et
gravité pour finir par être totalement
bouleversant. La démarche engagée par les
protagonistes à disséquer leur intimité dans
une franchise douloureuse et sans chichis nous
touche sincèrement, en créant une proximité
inattendue et empathique. L’impression
d’assister à un projet cohérent provient sans
doute de l’engagement total de tous les acteurs,
qui, en plus de leur prestation, ont pris part au
processus créatif et à l’écriture du scénario.
Une implication nécessaire et salutaire
puisqu’il faut rappeler que rien n’est simulé
ni truqué dans ce que nous voyons.
Aujourd’hui,
l’audacieux Shortbus rejoint dans notre
panthéon personnel des films libres et habités,
au firmament du cinéma comme aide à vivre et à
comprendre, toute l’œuvre de Gus Van Sant
(My Own Private Idaho est d’ailleurs
mentionné) et Tarnation de Jonathan
Caouette que John Cameron Mitchell aida
à monter.
Patrick
Braganti
Comédie
dramatique américaine – 1 h 42 – Sortie le 8
novembre 2006
Avec
Sook-Yin Peel, Paul Dawson, Lindsay Beamish
Plus+
www.shortbus-lefilm.com
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