cinéma

Sin City de Robert Rodriguez 

[2.5]

 

 

    Sport à la mode à Hollywood depuis plusieurs années déjà, l’adaptation de comics a un peu remplacé –dans le système de recyclage des grands studios- la littérature, matériau noble prédominant jusqu’alors quand il s’agissait de trouver de nouvelles idées. Avantage indéniable (point de vue de producteur) : intrigues simplifiées, voici venu le temps des héros de livres d’images, au sein desquels toute une génération de cinéastes a baigné sa jeunesse et où l’intrigue, mince comme du fil à dent, tient sur le doigt d’une (petite) main, son traitement sur le reste de l’appendice.

 

    Il y a en gros deux manières de se dépêtrer du poids lourd que constitue un comics dont on veut faire un film : s’y coller fidèlement au risque de ne produire qu’une simple illustration sans novation ou, hypothèse Spiderman, réinterpréter un univers préexistant en y accolant sa propre vision, pour livrer une nouvelle entité tenant debout sur ses propres pattes. Robert Rodriguez, aidé ici de Frank Miller lui-même, a indéniablement opté pour la première solution, au risque de manquer la cible.

Car une implacable logique fonctionne en boucle (c’est d’ailleurs la structure formelle de ce Sin City, hasard ou coïncidence) : l’univers ultra stylisé des comics, et des albums de Frank Miller notamment, se nourrit à la base d’une imagerie sortie prédominante des entrailles du cinéma lui-même. Cinéma + Miller = Sin City = Miller + Cinéma. Bref, le chien se mord la queue, ce qui pourrait nous laisser indifférent si nous n’en sortions pas égratignés, spectateurs qui attendions un traitement un tant soit peu décalé et (plus) purement cinématographique.

 

    Mais pouvait-on espérer autre chose de Robert Desperado Rodriguez ? Gentil faiseur de films in, il ne parvient jamais (voir le très mauvais Once upon a time in Mexico) à élever son laborieux travail au rang de cinéma, se contentant d’un remplissage à base d’explosions et figures… bédéesques. Le résultat évidemment n’est pas fameux : à univers visuel égal, on préférera l’original, qui trace sa route répondant aux critères spécifiques de son propre domaine. Plaquer sur l’écran les figures codées des comics de Miller (trois d’entre eux, ici : Sin City, Le grand carnage, Cet enfant de salaud) n’est pas suffisant pour faire du cinéma, lequel demande au préalable un tant soit peu de mise à distance ou, à défaut, une scénarisation un peu plus conséquente. C’est peut-être du côté du jeu vidéo qu’il faut aller chercher un parallèle à Sin City : rien de plus ennuyeux cependant que de suivre un jeu sans y participer.

 

    Restent donc les figures bigger than life de Mickey Rourke, méconnaissable dans un rôle, aux relents autobiographiques, de corps violent violenté, peu gâté par la vie, s’accrochant jusqu’au bout à son propre code de l’honneur. Même chose du côté de Bruce Willis. Rebelote avec Clive Owen (contre-emploi). Trois héros pour trois histoires qui font semblant de s’emmêler sans que jamais pourtant le procédé, tarantinesque, ne dépasse la gratuité inutile, pire : infondée. L’utilisation d’un chœur de voix off (les trois héros), omniprésente, est une fausse bonne idée ; loin de combler les vides et faire avancer l’histoire (rôle assigné à la bulle en bande dessinée), elle surligne grossièrement des séquences sans combler les vides éventuels puisque les protagonistes s’expriment à foison.

La photographie, noir et blanc mâtiné d’éclats de couleurs, est plutôt réussie mais fait naître des regrets immédiats, ceux de n’avoir pas assisté à une réinvention du film noir à travers le filtre comics, occasion manquée qu’un travail distancié aurait peut-être permis d’atteindre. 

 

Christophe Malléjac

 

Film américain – 2 H 03  - Sortie le 1er Juin 2005

Avec Mickey Rourke, Bruce Willis, Clive Owen

 

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