André Téchiné réussit avec Les Témoins
son pari d'évoquer homosexualité et apparition
du SIDA avec intelligence et finesse, sans jamais
forcer le trait, tomber dans le didactisme où les
grands sentiments. Cela grâce à des personnages
humains, attachants et touchants, interprétés
par de bons acteurs.
Tout commence lorsque Manu, beau et aventureux jeune
homme interprété par Johan Libéreau, décide
de monter à la capitale. Il rejoint sa soeur
Julie (Julie Depardieu) qui étudie le
chant lyrique à longueur de journée dans un hôtel
de passe. Adrien, médecin ballotté de déceptions
sentimentales en désillusions affectives
s'entiche un soir du jeune homme. Adrien est un
ami de Sarah (Emmanuelle Béart), libérée
auteure de contes pour enfants.
Sarah vient d'avoir un bébé avec Mehdi (Sami
Bouajila), zélé, consciencieux et séduisant
responsable de la brigade des moeurs de la police
parisienne. Le couple de Sarah et de Mehdi est
unit par sa liberté et sa différence. Leur
origine culturelle et sociale est très éloignée,
et ce n'est pas leur enfant qui les rapproche, car
Mehdi est un père attentif alors que Sarah se révèle
une mère exécrable. Pour ne plus entendre des
hurlements qui la déconcentrent dans son travail,
elle met des boules quiès et laisse le bébé s'égosiller.
Les espaces entrent eux laissent la place aux
aventures, dont certaines vont se révéler inattendues.
Après avoir ainsi constaté qu'elle n'aime pas
les enfants, Sarah décide d'écrire des romans
pour les grands. Tous moins Julie se retrouvent
dans la magnifique maison de la mère de Sarah,
dans un coin de la côte d'azur. Les ingrédients
sont en place pour une histoire d'amours croisés
entre couples et sexes. La première partie du
film, "le printemps", est un concentré
de vie ensoleillé de jeux de séduction dont Manu
est le centre.
Manu, que Yohan Libéreau interprète avec
justesse et tendresse, est touchant de sincérité
et de simplicité. C'est un garçon entier, que sa
naïveté consciente et assumée rend encore plus
attachant. Michel Blanc est génial en
vieil homo romantique, grognon, loser et pathétique,
puis transfiguré par sa lutte contre le SIDA qui
devient le but de sa vie. L'échec de sa relation
platonique avec Manu est écrite d'avance, prévisible
pour tous sauf pour lui. "Ah trahison, ce
n'est pas le démon, mais l'ange qui
poignarde!", s'exclame t-il devant Manu, au
milieu d'autres exclamations de désespoir, quand
il apprend la relation qui l'unit à Mehdi. En
effet, le thème de l'homosexualité est abordé
à travers Sami Bouajila et son rôle de
flic de la brigade des mœurs qui tombe sous le
charme de Manu. Un pied de nez jouissif dont Téchiné
ne se prive pas, et il aurait eu tort. Le jeu
ambigu de Bouajila sert à merveille le
propos, et l'acteur sort sans aucun doute grandi
de sa performance.
Puis, l'histoire d'amour passionnelle et charnelle
de Mehdi et de Manu est violemment interrompue par
la maladie. C'est Adrien qui découvre d'inquiétants
symptômes sur le corps de Manu au beau milieu
d'une pathétique et violente scène de jalousie.
C'est le début de la deuxième partie du film: à
l'insouciance du printemps succède la violence de
la guerre. De la guerre contre la maladie, bien sûr,
qui transforme Manu en pâle copie de ce qu'il a
été. Cette guerre est à la fois une drôle de
guerre et une guerre froide. Une drôle de guerre
parce que l'ennemi est là, les blessures infligées
à Manu en sont la preuve, mais pourtant nul ne
sait qui il est. Une guerre froide parce que le
conflit n'est pas ouvert et frontal, mais
insidieux.
Adrien se lance à corps perdu dans la bataille pour
la sensibilisation et la prévention. Le médecin
un peu largué trouve un but à sa vie et fait
preuve d'une force que peu auraient suspectée.
C'est lui qui saisit avec le plus de force
l'ampleur du danger et qui agit en conséquence.
Le film montre sans effets de styles les difficultés
à appréhender la terrible réalité de la
maladie. De Julie qui demande à Adrien, venu lui
annoncer la maladie, si "c'est grave",
si "ça se soigne" au collègue d'Adrien
qui affirme, alarmiste: "on annonce même le
chiffre d'une contamination par jour!",
personne n'est en mesure de saisir la réelle
ampleur de l'épidémie. Téchiné ne fait que
survoler les réactions déplacées et ridicule
que l'apparition du SIDA a provoquées dans les
sociétés occidentales. Il le fait à travers un
documentaire qu'Adrien -encore lui- projette à
des collègues et dans lequel nous apprenons la
panique aux Etats-Unis et l'arrêt de certains
cours de respiration artificielles par ignorance
des moyens de propagation du virus.
Faut-il regretter que le film n'insiste pas plus sur
les terribles insinuations dont on fait l'objet
les homosexuels, sur l'incompréhension et le
rejet dont ont fait preuve certains malades?
Certainement pas : ce n'est tout simplement pas
l'objet du film, qui se "contente" à
juste titre de l'histoire et de ses personnages.
Les images "réelles" insérées dans le
film à travers les exposés d'Adrien sont
suffisantes pour ancrer l'histoire du film dans la
réalité, tout en évitant l'écueil de
l'artificiel. Le choix d'articuler la maladie
autour de vrais personnages, avec une réelle épaisseur,
donne toute sa force au propos. Même si
l'apparition de la maladie jette un voile sur
leurs vies.
L'arrivée de la maladie est montrée comme un événement
absurde, venant interrompre le cours normal de la
vie, les finalement bien innocents batifolages des
personnages. C'est quelque chose qui n'aurait pas
du arriver, qui n'a pas sa place. Comme un
symbole, alors qu'Adrien annonce la maladie de son
frère à Julien, un musicien vient lui faire le
reproche de faire perdre du temps à tout le monde
pour une raison qui n'en vaut certainement pas la
peine. Même surpris, tous se doivent de vite réagir.
Mehdi et Sarah se trouvent face à l'angoisse de
la séroposivité.
Puis, Sarah prend conscience du drame qui se joue et
de leur rôle d'acteurs, et décide d'écrire un témoignage.
Des passages lus par la voix pressée d'Emmanuelle
Béart illustrent magnifiquement plusieurs
moments du film, notamment ceux où Mehdi fait découvrir
les joies des airs à Manu puis, plus tard, à sa sœur.
Emmanuelle Béart est sobre, joue de ses
yeux magnifiques et de sa moue d'enfant gâtée,
bien sûr, mais avec plus de discrétion qu'en
d'autres films.
Personne ne pleure lorsque Manu s'éteint. Parce que
cette mort est au dessus de leur entendement à
tous, qu'elle est contre toute logique, parce que
chacun est pris dans le tourbillon de sa vie.
Puis l'été arrive, dernier chapitre de cette
histoire. Comme un miroir, le film se termine sur
un retour dans la maison de la mère de Sarah,
Manu remplacé par un bel Américain. La vie
continue, la vie semble avoir effacé la
disparition de Manu. L'amant américain d'Adrien
donne une dimension internationale à la maladie.
Il est comme un messager qui vient donner des
nouvelles du front de New York, "où les
homos tombent comme des mouches".
Adrien
Potocnjak-Vaillant
Film français – 1H52 – Sortie le 20 mars
Avec Michel Blanc, Emmanuelle Béart, Sami Bouajila,
Yohan Libéreau
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