Temporada de patos
de Fernando Eimbcke
[3.0]
|
|
|
|
Dans un quartier populaire traversé par de grandes
barres de béton, Flama et Juan Pablo surnommé Moko se
retrouvent pour un dimanche, peinards et seuls après le
départ fastidieux de la mère névrosée de Flama. Au
programme des deux ados : jeux vidéo, mangas
porno, pizzas commandées et grands verres à ras bord
de Coca-Cola. Des occupations communes à tous les
gamins des pays plus ou moins développés de la planète.
La bataille bruyante qui fait rage entre Bush et Ben
Laden par écran et joystick interposés est soudain
interrompue par une panne d’électricité et l’arrivée
inopinée de la fille de la voisine : Rita, seize
ans, bien décidée à faire la cuisine et à utiliser
un four en état de marche contrairement au sien. Plongés
dans l’ennui et l’oisiveté, Flama et Moko passent
commande d’une pizza moitié salami, moitié
champignons et attendent le livreur chronomètre en
main. Comme celui-ci nommé Ulises a un retard à
l’arrivée de quelques secondes, pas question pour les
ados de le payer. L’électricité revenue, le différend
fait l’objet d’un pari autour d’un autre jeu vidéo
sur le foot. Le gagnant emportera la pizza et son
montant, mais une seconde panne laisse l’issue en
suspens, alors que Rita continue ses coupables et
infructueuses activités culinaires, rejointe par Moko
qu’elle entreprend de séduire.
Tourné en noir et blanc, dans une même unité de lieu
et de temps, ce petit film sympathique et un peu bancal
qui frise parfois l’ennui se laisse regarder pour ses
moments de grâce et de poésie. Après quelques plans
fondus au noir d’un Mexico rongé par le béton et la
ferraille, bien loin des habituels clichés
touristiques, Temporada de patos se concentre sur
ce modeste appartement autour d’un dimanche banal, à
l’atmosphère cotonneuse, presque comateuse par
instants – on y somnole souvent sur le canapé central
ou à même la table. L’apparente banalité est néanmoins
ébranlée par l’arrivée de Rita, la cuisinière délurée,
et Ulises, un étonnant livreur de pizzas. Ulises après
avoir quitté un boulot ingrat dans une fourrière où
on l’obligeait à tuer des chiens (scène pénible) a
pris ce job pas moins rebutant de livreur, en attendant
de faire fortune avec l’élevage et le commerce de
perroquets.
En
fait cette journée buissonnière, ralentie, comme mise
en apesanteur par les pannes successives d’électricité,
sert aussi de révélateur aux quatre protagonistes.
L’examen détaillé des photos de famille de Flama
conduit celui-ci et ses comparses à émettre de sérieux
doutes sur ses origines : il est roux, aucun de ses
parents, par ailleurs en plein divorce, ne l’est. Même
si Rita fait du rentre-dedans à Moko, il apparaît évident
que le gamin tout bouclé se sent plus attiré par son
copain. Enfin il y a le lymphatique Ulises, qui finira
par emporter un tableau source de tous les conflits
parentaux : un envol de canards au bord d’un étang.
L’attrait centripète du tableau et la belle leçon
sur le vol des canards valent au film ses plus belles scènes
à la frontière de l’onirisme.
Pour le reste, on peut être moins emballé ou carrément
irrité par cette profusion de fondus au noir qui
jalonnent une histoire lente et somme toute ténue. Mais
difficile tout de même de ne pas être sous le charme
d’un premier film inventif et plein de confidences, y
compris à travers les portes, et de fous rires.
Manifestement, Fernando Eimbcke sait cerner
l’univers adolescent avec ses codes et ses hobbies,
mais aussi ses questionnements sur la vie.
Oscillant
entre comédie déjantée et drame intimiste, Temporada
de patos révèle un cinéaste, un de plus venu de
cette Amérique centrale et du Sud dont on ne cesse de
vanter la diversité et le talent.
Patrick
Braganti
Film
mexicain – 1 h 25 – Sortie 20 Avril 2005
Avec
Enrique Arreola, Diego Catano, Daniel Miranda
>
Réagir
sur le forum cinéma
|