Comment
continue t-on à vivre avec une échéance
maximale d’une année devant soi ? C’est
cette terrible question à laquelle François
Ozon tente d’apporter, sinon une réponse
tranchée et définitive, du moins un point de vue
dans son dernier film. Et c’est Romain, jeune
photographe de mode branché, arrogant,
antipathique, un mec « pas gentil »
comme il se qualifie lui-même qui est le vecteur
de l’interrogation du cinéaste.
Dès
la mise en situation, Ozon n’évite guère
les clichés associés à son personnage :
agenda surbooké d’un artiste à la mode
sollicité par des clients japonais, pédé qui se
défonce à la coke pour mieux bander et baiser
Sacha, son ersatz de petit ami qu’il entretient
et humilie, en bref un type peu aimable. A la révélation
de sa maladie suite à un malaise, qu’il croit
d’abord être le sida, Romain choisit le
silence, le repli sur soi et la solitude ;
attitudes qui en soi n’ont rien de condamnables
et même tout à fait compréhensibles, hormis
qu’elles n’engendrent pas un film ni particulièrement
émouvant ni durablement convaincant. Il aurait
fallu donner des éléments sur ce refus d’aveu,
révélateur de l’état psychologique de Romain,
bien avant son cancer. Le film passe totalement à
côté de cet aspect pourtant fondateur.
Sans
doute l’option d’un personnage antipathique
qui le restera en majeure partie et la volonté
affichée de ne pas sombrer dans le pathos altèrent-elles
toute possibilité d’émotion. Ozon a
clairement opté pour la radicalité : la
maladie de Romain ne se manifeste que par l’évolution
de sa maigreur ; pas de soins, pas d’hôpitaux,
pas de symptômes. Une abstraction qui là aussi
peut provoquer malaise.
Au
final, Romain ne se confie qu’à sa grand-mère,
parce qu’elle est un peu son alter ego, sa
complice de toujours, et aussi parce que sa
vieillesse la rapproche de sa propre mort. Dans la
seule parenthèse intense du film – qui permet
de le sauver du naufrage complet grâce à Jeanne
Moreau -, deux sursitaires se soutiennent et
se disent tout leur amour, même si chacun connaît
sa solitude ultime. Passée cette étape qui
pourrait être un début de réconciliation pour
Romain avec lui-même, si ce n’est ses parents
et sa sœur, Le temps qui reste va
accumuler des pistes et empiler des idées sur la
transmission, l’incapacité à dire et à
partager de manière aussi superficielle que
bancale. Les scènes paraissent s’enchaîner
sans lien, posées les unes à côté des autres
sans que la moindre cohérence en ressorte.
Le
prolifique Ozon poursuit son travail
stakhanoviste de bon faiseur de films très
travaillés, très fabriqués, bénéficiant
d’une brillante direction d’acteurs et d’une
mise en scène flirtant avec le virtuose et le
penchant esthétisant. Il n’en reste pas moins
un froid entomologiste qui regarde ses semblables
avec distance et sans grande empathie. Le
non-amour flagrant de Ozon pour ses
personnages devient franchement gênant
lorsqu’il s’attaque à un sujet aussi fort.
Tout comme, sur un autre registre, une
complaisance facile à filmer les lieux glauques
du milieu gay, sans parler de l’inutile scène
d’amour à trois avec le couple de la
station-service. Pour le coup, le réalisateur
assez tordu pervertit ce qui aurait pu être une
excellente idée.
Il
préfère abandonner dans une scène pompière et
lourdement symbolique son héros à sa misérable
solitude, sans avoir jamais tenté la moindre ébauche
de rapprochement. Si c’était pour nous
signifier notre insondable isolement au dernier
moment (merci, on n’est pas idiots), cela ne
valait pas la peine de réaliser un film aussi
vide et décharné.
Patrick
Braganti
Film
Français – 1 h 25 – Sortie le 30 Novembre
2005
Avec
Melvil Poupaud, Jeanne Moreau, Daniel Duval, Valéria
Bruni-Tedeschi
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