Parce
qu’ils sont rares et difficiles, les films français
sur la guerre d’Algérie désormais inscrite
dans l’histoire récente (il y a déjà soixante
années que l’Algérie gagna son indépendance)
sont précieux. La Trahison n’échappe
pas à la règle loin s’en faut. Et de trahison
il ne peut en être nullement question en ce qui
concerne l’adaptation du roman éponyme de Claude
Sales, sous-lieutenant d’une section chargée
de missions de guerre psychologique dans le
sud-est algérien au sein de laquelle se trouvent
quatre appelés autochtones, ceux que l’on
rangeait sous l’acronyme FSNA : Français
de souche nord-africaine en opposition au FSE, les
Français de souche européenne. Les appelés sont
bien à distinguer des engagés, des volontaires
ou des harkis payés par l’armée française, généralement
plus âgés que le contingent et plus combatifs.
Pour
les jeunes appelés, souvent célibataires ou même
orphelins, la situation en continuelle dégradation
devient de plus en plus inextricable : rejetés
en masse par la population qui les considère
comme traîtres, ils font de moins en moins
confiance à l’armée française et aux
promesses faites par De Gaulle, qui tardent à être
suivies d’effets. Pour eux, la solution pour
retrouver les faveurs de leurs compatriotes passe
par le rejet de l’autorité militaire, plus sûrement
sa disparition symbolique. Claude Sales –
rebaptisé ici Roque – fait ainsi l’objet
d’un complot ourdi par ses quatre hommes visant
à le tuer. Pour le jeune homme intègre et
sensible, accomplissant son étrange mission dans
la campagne aride et rocailleuse du pays –
n’oublions pas que la guerre d’Algérie fut
d’abord une guerre du bled, et non des villes où
étaient rassemblés les européens - , la
nouvelle de la conspiration annoncée, puis
confirmée par ses supérieurs, fait l’effet
d’un électrochoc. A travers cette expérience
personnelle se pose en filigrane l’inexorabilité
d’une situation pourrissante dont tous les
protagonistes et porteurs de la mémoire du
conflit : les pieds-noirs, les harkis, mais
aussi les officiers supérieurs français qui se
sont vus voler leur victoire et plus globalement
le peuple algérien dépossédé de son indépendance
peuvent s’estimer avoir été trahis.
La
Trahison met en scène avec sobriété, voire
sécheresse, cette ambivalence propre à toutes
les guerres, où la tension et la méfiance règnent
dans un climat délétère. Le film alterne les scènes
nocturnes et diurnes, les premières composées
d’heures de guet et de sommeil volé ou tronqué,
les secondes terrassées par l’ennui et la
lenteur, parfois entrecoupées de combats furtifs
et meurtriers. Philippe Faucon, dont les
racines sont étroitement liées au conflit,
jusqu’alors plutôt versé dans l’univers féminin,
s’empare avec talent du roman de Claude Sales
et s’interroge par le biais d’un film court et
resserré se déroulant sur quelques journées décisives
pour la section Roque sur la nécessité de
choisir son camp. Alors que le livre était le témoignage
vécu et personnel d’un jeune militaire, le film
opte pour la fiction élaborée à partir de faits
réels et multiplie les points de vue, notamment
celui des quatre appelés nord-africains,
partageant en arabe leurs doutes et leurs
angoisses.
On
l’aura compris : dans cette guerre « sans
nom », conflit ambigu qui en s’éternisant
et s’enlisant conduisait les Algériens à opérer
des choix cornéliens et vitaux, (et pour eux
« le mauvais choix était mortel »,
comme le souligne le commandant de Roque), les
trahisons et les pièges étaient inévitables de
part et d’autre. C’est ce que montre Philippe
Faucon dans un film fort et authentique – le
tournage effectué en Algérie même ne faisant
qu’ajouter à la véridicité – qui a le grand
mérite de ne pas asséner de vérités définitives,
mais plutôt de susciter des questionnements.
Patrick
Braganti
Drame
français – 1 h 20 – Sortie le 25 Janvier 2006
Avec
Vincent Martinez, Ahmed Berrhama, Cyril Troley
>
Réagir
sur le forum cinéma
|