Trois enterrements
de Tommy Lee Jones
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Et pas de mariage en vue : nous ne sommes pas dans
le cadre douillet d’une comédie british mais au
contact rugueux d’un monde d’hommes – ce qui de
fait suppose aussi l’existence (présente ou absente)
de la femme. A la lisière du Mexique et des Etats-Unis,
un patelin besogneux meublé de maisons-caravane et
d’un snack-saloon tenu par une hôtesse peu farouche :
décor cliché idéal pour tragédie classique ou
moderne. L’Ouest au sens large recèle ainsi, dans ses
limites géographiques et mentales, une panoplie si
vaste de possibles qu’on peut y planter son petit
drapeau sans peine. Il y a un côté fin du monde dans
ces territoires extirés aux confins du néant, quelque
chose qui rappelle par exemple le Pattaya où échouait
en fin de livre le héros du Plateforme de Michel
Houellebecq. Le monde après le monde. Les reines de
beauté, miss propulsées droit dans le décor en
sortant du collège, finissent par s’enfuir ou s’y résignent,
oblitèrent un ticket-retour immédiat (au contraire
d’Hollywood où les cars de province déversent leur
lot quotidien de starlettes en devenir) ou se muent
lentement en veilleuses discrètes de la compagnie des
hommes, nouant de leurs atours physiques l’ordre (le
shérif), le désordre (Tommy Lee Jones) et le
territoire neutre (le mari).
Surgissant
là-bas, impossible aussi de définir ce à quoi l’on
a à faire : installations provisoires
s’enracinant peu à peu ou zone de stationnement définitif
vers laquelle aucun voyageur ne s’aventure jamais ?
Le scénario n’est pas inutilement alambiqué tant
qu’il saisit cette indécision de la caméra, hésitant
à trancher entre des genres variables – drame, huis
clos social, polar mauvais genre ou western. La dernière
hypothèse bien sûr sera la bonne, la simplification
soudaine des matériaux ouvrant, en une dernière partie
franchement réussie, sur les grands espaces, codifiés
jusqu’à la corde de potence, du classicisme disons fordien.
Trois enterrements donc mais un seul cadavre, le corps
de Melquiades Estrada, véritable héros du film, objet
de culte, d’adoration et d’entretien. Tué
accidentellement (si l’on veut) mais enterré vite
fait mal fait par des autorités locales peu
scrupuleuses, soucieuses en revanche de préserver une
certaine paix sociale (« les ennuis, j’aime pas
ça ») et leur homme assassin. Dans le monde
inversé, rétablir l’ordre bafoué est un geste
sauvage : voici donc le désordre en personne (Tommy
Lee Jones) nimbé de son code de l’honneur, chargé
(promesse morale) d’enterrer son ami mexicain en ses
terres, de l’autre côté de la frontière, dans le
hameau déserté de Jimenez. Voyage au long cours, à
dos de cheval, d’un mort traité comme un vivant,
assis la nuit au coin du feu, coiffé, choyé, faisant
l’objet de soins divers pour tenir le coup.
Cette irruption de la mort à l’écran, cadavre de
face droit dans ses yeux vitreux, tranche singulièrement,
il faut le dire, avec le b.a.ba hollywoodien habituel
sachant, des corps en cours de décomposition, ne rien
montrer qui puisse choquer, croyant ainsi préserver le
minimum syndical de rêve sur lequel l’industrie (car
c’est bien de cela qu’il s’agit) a bâti sa légende.
Ce faisant, T.L.J. se place résolument à l’écart,
sous la bannière mal étoilée d’un Peckinpah
ou d’un Leone, ces pourchasseurs d’un
efficace cinéma-vérité, sans prétendre pour autant
égaler les modèles : évitons donc de juger son
film à cette aune difficilement rattrapable,
contentons-nous d’en apprécier l’ultime partie
– le voyage –
dont le basculement côté western justifie
pleinement la disparition des femmes de la ville
(montée dans le car / refus de pénétrer - via le
mariage – cet univers de mâles).
Les
règles cette fois sont simples, œil pour œil, dent
pour dent, ratissant les hiérarchies éprouvées du
monde civilisé dans une vaste liberté d’être et
d’agir. Si l’occidentalisation dévoyée s’exprime
sur les écrans de télévision en séries brésiliennes
ou feux de l’amour, elle ne touche qu’un côté
de la barrière, la pin-up ou l’assassin qui s’égarent,
ne forme au cœur de ces rocheuses à visages burinés
qu’un spectacle curieux. Devenir un homme, un vrai,
voilà au fond le discours de T.L.J., qui
rattachant son geste à une certaine tradition de la
justice privée, n’est pas exempt des égarements
d’un populisme bas de gamme. C’est l’homme sauvage
contre la vedette de lycée, la fusion aux éléments
contre un meurtrier ignorant. On connaît la rengaine
fredonnée depuis belle lurette par Papy Eastwood,
voici donc l’autre Space Cowboy en son credo
viril. Plus légalistes que la loi, cœurs tendres sous
carapaces armées, ils sont les vieux tenants de la
connaissance, les nouveaux sages chargés de faire le
lien entre un cinéma classique et ses avatars moribonds :
du beau travail sans fioritures, efficace et peu
bravache, sans une once d’innovation non plus – on
ne cède pas aux modernes.
Christophe
Malléjac
Film
américain – 1 H 57 – Sortie le 23 novembre 2005
Avec
Tommy Lee Jones, Barry Pepper, Julio Cedillo
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