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Tu marcheras sur l'eau de Eytan Fox    

 

 

    A l’heure où vont avoir lieu les commémorations marquant le soixantième anniversaire de la libération des camps de concentration, le premier film de Eytan Fox tombe bien car il offre une réflexion à sa manière sur l’incidence d’événements tragiques sur la vie de quelques individus. Très concerné par la situation actuelle de son pays, il est persuadé que « le fait que les Israéliens soient toujours aussi obsédés par l'Holocauste et leur statut de victimes les empêche de voir qu'ils sont devenus des agresseurs, infligeant larmes et souffrances aux Palestiniens. [ ] Et que la première étape pour aider les Israéliens à comprendre à quel point ils sont devenus cruels consiste à ce qu'eux-mêmes arrivent à faire cette paix avec leur passé traumatisant ». Il se penche plus largement sur la difficulté à vivre ensemble, sur la mémoire qui exclut l’oubli, mais aussi au besoin d’aller au-delà, de dialoguer, au final d’accepter ou de pardonner. Des notions philosophiques et métaphysiques de premier ordre qui nécessitent un traitement intelligent, subtil et fouillé, ce dont le film ne bénéficie pas toujours.

 

    Eyal est un jeune agent efficace du Mossad spécialisé dans l’exécution rapide et discrète de terroristes. Il est chargé de retrouver la trace d’un ancien officier nazi par le biais de son petit-fils Axel venu de Berlin rendre visite à sa sœur qui vit dans un kibboutz en Israël. En se faisant passer pour un accompagnateur auprès du jeune allemand, en les plaçant sous écoute lui et sa sœur et en instaurant un climat de sympathie et de confiance, il espère obtenir des informations pour en apprendre davantage sur le grand-père tortionnaire.

Le principal intérêt de Tu marcheras sur l’eau – titre en lien direct avec un épisode de l’histoire biblique et métaphore de la capacité humaine à la transcendance – est le mélange des genres et le brouillage des pistes. Eyal est monolithique, machiste et abrupt, sans faille apparente même s’il doit survivre au suicide de sa femme. Axel est plus ouvert, plus tolérant, mais pas forcément à l’aise avec le passé de son pays, sans parler de celui de sa famille dont il ne semble pas savoir grand-chose. La rigidité et le machisme de l’israélien sont mis à rude épreuve lorsqu’il se rend compte que Alex est homo, éprouve une franche inclination pour la cause palestinienne et n’hésite pas à s’afficher dans Jérusalem avec un jeune arabe dragué la veille en boite.

Soudain, à l’intérieur d’une voiture, la cohabitation d’un juif, d’un arabe, de deux descendants d’un officier nazi, de sexualités différentes, à quelques encablures de lieux lourdement chargés de symbolique religieuse, constitue une représentation humoristique et ingénieuse de la diversité et de l’étendue de l’humanité.

 

    Quand Eyal est envoyé à Berlin pour reprendre contact avec Axel, où les chefs du Mossad pensent voir ressurgir le grand-père évaporé, le film perd un peu de sa subtilité et propose une vue plus manichéenne, donc plus réduite, de l’histoire. Néanmoins, le réalisateur sait montrer que tout et son contraire peuvent coexister chez une même personne. Ainsi à l’issue d’une rixe dans le métro entre Eyal, Alex et une bande de skins que l’israélien conclut par l’exhibition de son revolver, le jeune allemand lui confesse son regret qu’Eyal ne les ait pas tués, et débarrassé ainsi la ville de cette vermine. Dans le regard soudain haineux de Alex, dans cette injonction exterminatrice, le spectre du grand-père flotte dans un sentiment pour le coup malsain et glaçant.

Tout n’est donc pas tout blanc ou tout noir et c’est le grand mérite du film de nous le rappeler. Dès lors, on regrette d’autant plus les cinq minutes finales benoîtement idylliques et mièvres qui impriment au film une conclusion œcuménique et sans grande finesse.

En faisant abstraction d’une musique quasi insupportable et de quelques accrocs dans un scénario écrit à plusieurs mains (réalisateur et acteurs), on peut être néanmoins sensible au regard culotté et ambitieux, généreux et optimiste de Eytan Fox.

 

Patrick Braganti

 

Film Allemand, israélien – 1 h 44 – Sortie le 5 Janvier 2005

Avec Lior Ashkenazi, Knut Berger, Caroline Peters

 

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