cinéma

Ultranova de Bouli Lanners 

[3.0]

 

 

    On ne peut pas vraiment soupçonner les cinéastes belges d’œuvrer pour la promotion du tourisme local en montrant une Belgique gaie et attirante aux habitants pleins d’allant et de bonhomie. Ce que pourtant une fréquentation de quelques jours permet de confirmer. Il faut donc chercher ailleurs les motivations de la cinématographie belge  - ici wallonne – à produire des films pas très gais, décalés, à l’humour très noir. Il y a quelques années Brel chantait déjà toute la tristesse du Plat Pays. Ses ciels bas et lourds qui plombent le moral et collent aux basques comme la pire des poisses.

 

    Eh oui, la Wallonie, qui sert de décor au premier long métrage de Bouli Lanners, est une succession de lieux désolés, de zones industrielles en friche, d’immeubles insalubres que l’on croirait conçus par un vieil architecte communiste. Le vide géographique vient taper de plein fouet dans celui de la vie des personnages de Ultranova. D’un côté, un trio de vendeurs de maisons clef en mains qui repère des terrains pour des futures zones pavillonnaires. De l’autre deux copines qui bossent à emballer des meubles dans une grande surface anonyme et désertée. Le trait d’union entre les personnages, c’est Dimitri, le plus jeune des démarcheurs immobiliers, le plus secret, le plus taiseux dont l’attitude énigmatique et l’apparente solitude fascinent les deux jeunes filles. Enfin surtout Cathy qui se rapproche de Dimitri dans une drôle de relation plus fraternelle qu’amoureuse. Entre le garçon qui prétend avoir perdu toute sa famille à l’âge de douze ans et la fille adoptée, il y a mille fêlures et un terrain propice à tenter de les exprimer. L’ennui est peut-être plus facile à supporter à deux.

 

    Etonnant loustic que ce Bouli Lanners : carrure de déménageur, artiste touche-à-tout. D’abord acteur dans des seconds rôles, il devient une vedette de la télévision dans une série humoristique. Il fonde en parallèle le festival de Kanne (ville belge) dédié au cinéma marginal. On l’a vu récemment dans Quand la mer monte et Un long dimanche de fiançailles. Ce qui est évident, c’est que cet homme pluridisciplinaire ne manque pas d’humanité ni de tendresse. Et malgré sa noirceur et son désespoir suintants, Ultranova offre également des grands moments d’émotion : la mère adoptive de Cathy montrant de vieilles photos à Dimitri, Jeanne la copine de Cathy qui se mutile la main pour modifier sa ligne de vie, la scène inattendue d’une galerie marchande avec Dimitri, la mort du boss de Dimitri – un beauf qui pète les plombs - au sujet duquel un de ses collègues prétend qu’il ne s’est pas suicidé, mais qu’il est juste « mort d’une overdose de vie à la con ».

 

    Ultranova se veut aussi à travers les fragments de vie de ses personnages une réflexion distanciée et cocasse sur l’absurdité de la vie moderne : construction de fermettes préfabriquées au milieu de zones industrielles, besoin de sécurisation maximal avec parfois des effets boomerang.

De formation picturale, Bouli Lanners a particulièrement soigné l’image et les cadrages. Comme il le dit lui-même, « le cadre en format scope est devenu une toile, les comédiens des touches de couleurs et le film une peinture ».

Ce souci d’une composition maîtrisée et inventive en forme de puzzle et le travail sur la place des acteurs dans ce dispositif renvoie à un autre cinéaste du Nord comme Bruno Dumont. La cocasserie et la poésie mélancolique témoignent de l’influence de Ari Kaurismaki. Deux références dont le très prometteur Lanners n’a certes pas à rougir.

 

Patrick Braganti

 

Film Belge – 1 h 23 – Sortie le 11 Mai 2005

Avec Vincent Lecuyer, Hélène de Reymaeker, Michael Abiteboul

 

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