Va, vis et deviens
de Radu Mihaileanu
[2.0]
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Va, vis et deviens :
trois impératifs en forme d’exhortation que chaque
parent pourrait adresser un jour à son enfant prêt à
devenir adulte et prendre son indépendance. Sauf que ce
triple conseil est ici donné à un enfant de neuf ans
dans un camp soudanais par une mère lucide et résolue
qui veut lui offrir une porte de sortie vers Israël. En
effet, nous sommes à la fin 1984 qui marque le début
de l’Opération Moïse. Pendant trois mois, 8000 juifs
éthiopiens (les Falashas) quittent leur pays à pied à
l’insu du pouvoir en place sous contrôle soviétique
en direction du Soudan. La moitié n’arrivera pas à
destination, décimée par la famine et des conditions
de vie misérables. Pour échapper à cette mort prévisible,
le petit garçon doit se séparer de sa mère et se
faire passer pour juif avec la complicité d’une autre
mère juive dont le fils vient de mourir.
Le troisième film de Radu Mihaileanu, cinéaste
d’origine roumaine et assistant de nombreux réalisateurs
européens, met en scène une dizaine d’années, de
l’enfance à l’entrée dans l’âge adulte, de ce
jeune Ethiopien rebaptisé Salomon/Schlomo pour sa
famille d’adoption et son nouvel environnement. Avec
en toile de fond les tragiques événements qui secouent
le Moyen-Orient et qui constituent le creuset du conflit
israélo-palestinien. On suit donc Schlomo dans son
adaptation, son apprentissage, sa découverte du
racisme, de la judaïté et de l’amour tout au long
d’une fresque lyrique de cent quarante minutes.
A
force de vouloir trop embrasser, le film ne nous étreint
plus en proposant la dilution comme moyen
d’expression. Associer la dissimulation de l’identité
d’un enfant à l’exil des Falashas – même si le
cas s’est avéré, d’où les procès intervenus 10
ans après – alourdit le propos et pousse le film dans
des directions multiples, donnant l’impression d’en
voir plusieurs. Cela se veut à la fois une réflexion
sur le déracinement, la quête d’identité et le
poids de la religion et à la fois la chronologie
d’une enfance et d’une adolescence qui dans sa
partie centrale fait plutôt penser à La Boum ou
autres bluettes. Le tout est servi avec force sentiments
dégoulinants de mièvrerie, surligné par une musique
pompière et envahissante. Nous retombons là dans le même
travers déjà identifié avec Hôtel Rwanda :
l’incapacité pour un réalisateur écrasé par son
sujet qu’il traite de manière respectueuse et
empathique à le transcender et lui apposer son propre
regard critique et personnel. Reproche d’autant plus
difficile à verbaliser que cette histoire d’exode est
en soi suffisamment porteuse de dramaturgie et de force
pour lui offrir autre chose qu’une vision dogmatique
et redondante.
Reste
néanmoins l’interprétation et le charisme
indubitable des trois acteurs qui interprètent tout à
tour Schmolo, dont les deux aînés présentent une
ressemblance troublante avec Michael Jackson du temps où
il ne s’était pas encore mué en extra-terrestre.
L’ironie entoure parfois l’Histoire. Il y a soixante
ans en Europe il valait mieux cacher sa confession juive
pour espérer sauver sa peau. Quarante ans plus tard,
c’est se faire passer pour Falasha sous l’injonction
salutaire de sa mère qui permet à un gamin de quitter
l’enfer soudanais. Quand on voit par ailleurs le
racisme et l’intolérance exprimés par les Séfarades
à l’encontre des Falashas, on reste dubitatif quant
aux leçons si vite oubliées d’un passé récent. Va,
vis et deviens ne relève pas cette contradiction et
préfère se concentrer sur la vie de Schmolo dans une
évocation ambitieuse et longue, à l’émotion facile.
Dommage.
Patrick
Braganti
Film
français – 2 h 20 – Sortie le 30 Mars 2005
Avec
Yaël Abecassis, Roschdy Zem, Moshe Agazai
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