A
soixante-dix ans, le réalisateur britannique Ken
Loach à la carrière en dents de scie s’est
vu décerner pour son dernier opus la Palme d’Or
à Cannes. Récompense méritée pour une carrière
longue, qui a rencontré l’estime de la critique
et l’accueil du public, surtout à l’extérieur
de son pays, plus que pour ce film-ci précisément.
C’est en tout cas l’espoir que nous pouvons
formuler à l’issue de sa projection, nous
laissant avec un sentiment mi-figue, mi-raisin,
non pas que Le Vent se lève soit un
mauvais film. Son classicisme revendiqué ne peut
néanmoins l’inscrire au panthéon des œuvres
marquantes et révolutionnaires.
Pourtant
Ken Loach nourrissait le projet de traiter
la guerre d’indépendance irlandaise depuis plus
de trente années, laissant ainsi le temps à la
préparation et à la maturité d’un sujet
difficile et casse-gueule pour tout citoyen
britannique. La prise de position du cinéaste qui
ne cache pas ses sympathies pour la cause
irlandaise ne lui a pas valu que des amitiés au
sein de la critique anglaise, qui a mal digéré
de surcroît le prix suprême.
En
1920, l’Irlande, pays très rural et pauvre,
acquiert son indépendance et supporte de plus en
plus mal la présence de l’armée anglaise,
brutale et injuste, se livrant aux pires
exactions. La mort de plusieurs jeunes innocents
entraîne le soulèvement de jeunes paysans,
menant une guérilla acharnée contre
l’occupant. Parmi le groupe, se trouvent les
deux frères O’Donovan que les aléas de l’Histoire
vont amener à la rupture et à la tragédie.
Avant
d’identifier et d’isoler les deux frères au
sein des combattants, Ken Loach expose dans
une des premières scènes, saisissante et
fondatrice, la bestialité crasse et sauvage des
officiers anglais et l’organisation des jeunes
ruraux qui s’ensuit. Coiffés de casquette qui
leur assombrissent la moitié du visage, ces
jeunes hommes tous vêtus de sombre ne sont pas
considérés comme individualités. La première
partie du film est ainsi ancrée dans le collectif
et le mouvement historique. Dans cette alternance
de scènes de combats et de préparations (repérages,
réunions clandestines, discours politiques), on
est davantage marqués par celles d’actions où
les comportements brutaux des soldats anglais
traduisent toute la bêtise et la vanité
humaines. Ce qui pose une fois encore l’éternelle
question de la complaisance d’un cinéaste à
les montrer et plus encore celle passive du
spectateur à les raconter. Décidément sous
toutes les latitudes et à toutes les époques, la
soif de pouvoir et de domination a engendré les
pires atrocités et révélé les aspects les plus
malsains de la nature humaine.
En
recentrant ensuite le scénario sur la divergence
des deux frères, on espère que Le Vent se lève
puisse acquérir plus de profondeur et dégager un
souffle plus puissant, adéquat avec la force du
sujet. Hélas, il n’en est rien et cet
affrontement dont on éprouve quelque peine à en
appréhender les motivations – le départ des
anglais entraînant la guerre civile est traité
de manière elliptique – cantonne le film dans
une mise en scène sans inventions.
Dans
ses films sociaux – la majorité de son œuvre
-, Ken Loach nous a habitués à la
proximité et à la décortication psychologique
de ses personnages. Ici, il apparaît comme écrasé
par son sujet, comme s’il s’imposait une
propre censure pour éviter le sentimentalisme.
L’intention est louable mais elle impose au film
une certaine distanciation, qui forcément laisse
le spectateur de côté.
Homme
de convictions qui a connu des années de vache
maigre, ostracisé par le pouvoir conservateur
durant les années 80, Ken Loach montre en
filigrane – et notamment dans une issue tragique
– son pessimisme et son amertume. Dommage que
cette vision lucide et désenchantée n’ait pas
produit un film plus lyrique et plus habité. Le
vent n’aura été au final qu’une brise…
Patrick
Braganti
Drame
britannique – 2 h 04 – Sortie le 23 Août 2006
Avec
Cillian Murphy, Padraic Delaney, Liam Cunningham
Plus+
www.thewindthatshakesthebarley.co.uk
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