cinéma

La vérité nue de Atom Egoyan

[2.0]

 

 

L’hôtesse de l’air livre la clé : sa description minutieuse et inattendue des avantages de la rangée du centre dans un Boeing à la pointe de la technologie (nous sommes au début des années 70) dicte un discours de la méthode pour cette Vérité Nue ; s’y concentre tout un confort d’usage et superflu, maniable, amovible, brillant et forcément daté trente ans plus tard. Ce même principe de base semble guider le travail d’Atom Egoyan, une reconstitution précise et franchement réussie de deux époques – fifties et seventies - figées dans tout l’imaginaire occidental. De belles voitures, de somptueuses villas, des filles coiffées comme dans les vieux magazines et des types moustachus dans leurs costumes étroits. La photographie fait l’objet d’une attention précieuse, légèrement voilée ou télévisée noir et blanc dans la période 50 / 60, plus sèche et délavée ensuite (les années 70, qui correspondent en fait au temps présent du récit). Même traitement pour la musique et son lot de tubes façon Scorsese puis ses violons doux et durs à la fois, on pense (parce qu’il faut bien essayer de comprendre) aux scores de Bernard Hermann.

 

Cette accumulation de détails liés au costume que porte le film pose évidemment un  sérieux problème de distanciation sur lequel il faudra revenir mais permet aussi une immersion immédiate dans les coulisses du spectacle. Un duo de comique (Kevin Bacon, entre charisme et cabotinage ; Colin Firth, sobre et puissant) sous l’emprise de la mafia enchaînent téléthons sur téléthons et verront révélé, pour nous seuls spectateurs, l’empire de leur intimité faite aussi de névroses et de douleurs planquées sous une façade rodée dorée. Une jeune journaliste débutante joue la médiatrice d’eux vers nous : le procédé classique reste efficace et facilite la re-création d’une mythologie externe pour enrober les deux has been. Le piédestal sur lequel, en fan miraculée, la jeune femme place les deux compères offre une approche en retrait (voir à ce propos la très belle séquence de la rencontre dans l’avion de New York : Kevin Bacon surgissant comme dans son rêve). Un mélange de voix off lance de fausses pistes, elles nouent leurs fils dans le seul cerveau narrateur de la journaliste. Et même la rencontre – dans une large acception - longtemps fantasmée entre la fan et son idole n’écornera pas la glace de mystère qui entoure la vedette.

 

Cette adéquation-inadéquation entre l’imagerie de la célébrité et sa réalité aurait sans aucun doute amplement suffit pour mener le film là où il veut nous mener, sous la façade opaque des images officielles. Pourquoi alors Atom Egoyan a-t-il choisi de s’encombrer d’un pseudo-suspense mal ficelé au sujet de la mort mystérieuse d’une jeune femme (bonjour James Ellroy et salut De Palma), poussant la fiction vers les rives d’un polar qu’elle se refuse à atteindre. Voilà le hic et l’énorme machinerie costumée mise à mal, le cours des événements nous laissant franchement circonspects et hors sujet, faisant de nos yeux inutiles les promeneurs touristes d’un décorum de foire. Problème de distanciation donc mais, plutôt qu’entre la forme et le fond, entre deux fonds : la volonté de dire et le procédé choisi. Boiteuse, La Vérité Nue peine à trancher sa raison d’être et ressemble in fine à la (très plate) scène d’explication finale : un long discours prétexte dans un décor de carton-pâte.

 

Christophe Malléjac

 

Film américain (2005) – 1 H 47 – Sortie le 21 décembre 2005

Avec Kevin Bacon, Colin Firth, Alison Lohman 

 

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