A
la fin des années 70, Haïti, malgré le joug
dictatorial de Duvalier, demeure une île
attirante pour les touristes en général, riches
américaines du nord en particulier, séduites par
la proximité géographique et par certains
charmes offerts par les autochtones. Mais offerts
n’est certes pas le bon mot, car entre les
quinquagénaires au mieux avides de sexe ou de
romance éphémère, au pire frustrées à la
recherche éperdue du souvenir brûlant d’un
orgasme enfin éprouvé et les jeunes et fringants
haïtiens, les relations sont monnayées. Donc ni
spontanées ni franchement dégagées d’intérêt,
de part et d’autre. Haïti comme bien d’autres
lieux enchanteurs concrétise l’intersection
entre la misère sexuelle, sinon affective
(consubstantielle aux pays riches) à la misère
matérielle.
Sur
ce microcosme doré, niché au creux d’une anse
luxueuse et paradisiaque, obéissant à des codes
précis et partagés, règne Ellen, professeur
universitaire, riche Bostonienne, renouvelant
chaque année son séjour à Port-au-Prince –
considérée d’abord comme une ville de ploucs -
pour y retrouver le convoité Legba. L’équilibre
savamment instauré se voit mis à mal par
l’arrivée de Brenda. Amourachée de Legba
qu’elle s’approprie, elle sème la zizanie et
déclenche les foudres de Ellen. La rivalité
s’installe entre les deux femmes, alors que
l’histoire (avec un grand H) en route rattrape
Legba dont les agissements tarifés auprès des étrangères
ne sont pas du goût de tout le monde.
Malgré
sa localisation – Cantet quitte ici le
territoire balisé de ses précédents opus - et
le contexte dans lequel il se déploie, Vers le
sud, adapté des récits de Dany Laferrière,
n’est ni un film sur la situation politique haïtienne
et ses conséquences, ni une dénonciation du
tourisme sexuel (ici les garçons majeurs sont
tout à fait consentants et les rapports physiques
sont tout ce qu’il y a de plus normatif). Il
faut donc plutôt y voir un portrait de femmes et
à travers elles, le rapport de domination et de
possession s’instaurant entre les individus.
Hormis pour Brenda qui instille ouvertement des
sentiments et de l’investissement affectif dans
sa relation avec Legba, les garçons sont perçus
avant tout comme des objets, des donneurs de
plaisir. Leur chosification assumée ne pose pas
problème tant qu’elle reste dans les limites
fixées et respectées par Ellen et ses copines.
Brenda en les outrepassant fera voler en éclats
l’engeance, et révélera du même coup
l’ambiguïté de Ellen. Derrière
l’intellectuelle froide et cynique, vénéneuse
et manipulatrice, se cache une femme en manque
d’amour, totalement lucide quant à son âge et
à son avenir, assumant son rôle de celle qui
entretient.
C’est
bien le mérite de Cantet de dresser le
portrait fouillé et multiple de femmes aux fêlures
nombreuses. Le dispositif des confessions où
chacune au cours du film se livre à la caméra
rompt avec l’aspect communautaire et grégaire
qui prévaut et donne de l’épaisseur à des
personnages que l’on pourrait percevoir trop
monolithiques ou attendus.
Réfléchissant
une fois encore aux imbrications entre l’intime
et le social, Laurent Cantet poursuit son
travail avec cohérence, entamé avec Ressources
humaines. Quelle que soit la latitude à
laquelle il place sa caméra, il ausculte un monde
dépressif, vicié par des relations humaines minées
par le pouvoir et l’emprise. Plus que la
dissection des crises existentielles de femmes
oisives et blasées, c’est bien ce regard
touchant au politique et au sociologique qui
continue à rendre le cinéma de Cantet intéressant.
Patrick
Braganti
Comédie
dramatique française – 1 h 55 – Sortie le 25
Janvier 2006
Avec
Charlotte Rampling, Karen Young, Louise Portal
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