cinéma

Vers le sud de Laurent Cantet

[4.0]

 

 

A la fin des années 70, Haïti, malgré le joug dictatorial de Duvalier, demeure une île attirante pour les touristes en général, riches américaines du nord en particulier, séduites par la proximité géographique et par certains charmes offerts par les autochtones. Mais offerts n’est certes pas le bon mot, car entre les quinquagénaires au mieux avides de sexe ou de romance éphémère, au pire frustrées à la recherche éperdue du souvenir brûlant d’un orgasme enfin éprouvé et les jeunes et fringants haïtiens, les relations sont monnayées. Donc ni spontanées ni franchement dégagées d’intérêt, de part et d’autre. Haïti comme bien d’autres lieux enchanteurs concrétise l’intersection entre la misère sexuelle, sinon affective (consubstantielle aux pays riches) à la misère matérielle.

Sur ce microcosme doré, niché au creux d’une anse luxueuse et paradisiaque, obéissant à des codes précis et partagés, règne Ellen, professeur universitaire, riche Bostonienne, renouvelant chaque année son séjour à Port-au-Prince – considérée d’abord comme une ville de ploucs - pour y retrouver le convoité Legba. L’équilibre savamment instauré se voit mis à mal par l’arrivée de Brenda. Amourachée de Legba qu’elle s’approprie, elle sème la zizanie et déclenche les foudres de Ellen. La rivalité s’installe entre les deux femmes, alors que l’histoire (avec un grand H) en route rattrape Legba dont les agissements tarifés auprès des étrangères ne sont pas du goût de tout le monde.

 

Malgré sa localisation – Cantet quitte ici le territoire balisé de ses précédents opus - et le contexte dans lequel il se déploie, Vers le sud, adapté des récits de Dany Laferrière, n’est ni un film sur la situation politique haïtienne et ses conséquences, ni une dénonciation du tourisme sexuel (ici les garçons majeurs sont tout à fait consentants et les rapports physiques sont tout ce qu’il y a de plus normatif). Il faut donc plutôt y voir un portrait de femmes et à travers elles, le rapport de domination et de possession s’instaurant entre les individus. Hormis pour Brenda qui instille ouvertement des sentiments et de l’investissement affectif dans sa relation avec Legba, les garçons sont perçus avant tout comme des objets, des donneurs de plaisir. Leur chosification assumée ne pose pas problème tant qu’elle reste dans les limites fixées et respectées par Ellen et ses copines. Brenda en les outrepassant fera voler en éclats l’engeance, et révélera du même coup l’ambiguïté de Ellen. Derrière l’intellectuelle froide et cynique, vénéneuse et manipulatrice, se cache une femme en manque d’amour, totalement lucide quant à son âge et à son avenir, assumant son rôle de celle qui entretient.

 

C’est bien le mérite de Cantet de dresser le portrait fouillé et multiple de femmes aux fêlures nombreuses. Le dispositif des confessions où chacune au cours du film se livre à la caméra rompt avec l’aspect communautaire et grégaire qui prévaut et donne de l’épaisseur à des personnages que l’on pourrait percevoir trop monolithiques ou attendus.

Réfléchissant une fois encore aux imbrications entre l’intime et le social, Laurent Cantet poursuit son travail avec cohérence, entamé avec Ressources humaines. Quelle que soit la latitude à laquelle il place sa caméra, il ausculte un monde dépressif, vicié par des relations humaines minées par le pouvoir et l’emprise. Plus que la dissection des crises existentielles de femmes oisives et blasées, c’est bien ce regard touchant au politique et au sociologique qui continue à rendre le cinéma de Cantet intéressant.

 

Patrick Braganti

 

Comédie dramatique française – 1 h 55 – Sortie le 25 Janvier 2006

Avec Charlotte Rampling, Karen Young, Louise Portal

 

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