cinéma

La vie des autres de Florian Henckel von Donnersmarck

[3.5]

 

 

En 1984, alors qu’il faut encore attendre cinq années avant la chute du mur de Berlin et la possibilité de passer à l’Ouest sans danger il ne fait pas spécialement bon vivre en République Démocratique Allemande pour peu que l’on soit artiste ou intellectuel opposé aux idées du régime en place. Un régime qui pour contrôler les errements des récalcitrants a à sa disposition et à sa botte une police politique, la Stasi, redoutable d’efficacité. C’est un de ses plus brillants agents, professeur émérite, le secret et glacial Wiesler, qui est chargé par son supérieur, à la demande express du Ministre de la Culture en personne de surveiller les agissements d’un auteur de théâtre à succès Georges Dreyman et de sa compagne, l’actrice Christa-Maria Sieland. Cette surveillance de tous les instants grâce à la mise sous écoute de l’appartement de Dreyman est, on le comprend très vite, motivée non par d’éventuels soupçons vis-à-vis du dramaturge, mais par le désir du Ministre, bien plus prosaïque, de conquérir Christa-Maria en se débarrassant d’un rival encombrant.

 

La Vie des autres met en scène la construction millimétrique et savamment pensée d’une manipulation censée faire tomber le falot auteur, d’abord présenté comme bien lisse, peu enclin à faire des vagues et prompt à courber l’échine. Le piège ainsi mis en place aurait dès lors toutes les chances d’aboutir très vite, si Wiesler, à l’affût de la vie du couple dont il pénètre l’intimité par écoutes interposées, ne vacillait sur ses certitudes d’agent obéissant et intègre de la Stasi. Une brèche dans une vie terne et solitaire possiblement ouverte sur des territoires nouveaux – l’art et l’amour pour résumer – que Wiesler découvre malgré lui. L’intrusion de l’humain et des sentiments va dérégler cette belle mécanique dans une succession haletante d’événements et de rebondissements qui apparentent le premier film de Florian Henckel von Donnersmarck, tout frais émoulu de l’école de Munich, à un thriller politique.

 

L’efficacité de la mise en scène et la maîtrise jamais démentie dont le cinéaste fait preuve expliquent en grande partie le succès de La Vie des autres, tant en Allemagne que dans le reste de l’Europe où il collectionne les récompenses. S’il fallait émettre des réserves sur ce film effectivement captivant, mais aussi bluffant et parfois putassier, c’est bien dans sa volonté de trop bien faire, d’être appliqué de bout en bout, finissant par dénaturer son sujet et le dépouillant de son identité. Très vite, Florian Henckel von Donnersmarck sort du cadre est-allemand – tristesse et apathie de la population, le plus fort taux de suicides après la Hongrie, règne de la terreur instaurée par les agents de la Stasi – pour donner à son film une dimension universelle en s’interrogeant sur l’attitude de chacun face à une situation parfaitement connue : baisser la tête, accepter ou se rebeller au prix de sa vie et de celle de ses proches. Dans ces époques troubles, il n’est certes pas facile de mettre en adéquation ses pensées et ses actes.

 

Estampillé jeune cinéma allemand, La Vie des autres, qui suit de quelques semaines la sortie du très convaincant Pingpong, ne possède pourtant la même force ni la même originalité. Prenant place dans un terrain historique et géographique délimité, La Vie des autres n’a rien d’un film immédiatement identifiable comme germanique, voire européen. Sa virtuosité indéniable – qui hélas l’aplanit et ne lui confère pas la singularité qui permet de distinguer les très bons films des chefs-d’œuvre – renvoie exactement à celle déployée par le cinéma américain, y compris dans les films à thèses et à messages.

Enfin, dernier bémol, La Vie des autres aurait gagné à être plus court. Les derniers épisodes comme autant de fins différées dans le temps surajoutent à l’explication et à la démonstration. Là aussi plus de finesse et de retenue auraient été bienvenues. Des remarques que d’aucuns trouveront probablement chichiteuses au regard d’un premier long-métrage tout à fait honnête et captivant.

 

Patrick Braganti

 

Drame allemand – 2 h 17 – Sortie le 31 Janvier 2007

Avec Thomas Thieme, Martina Gedeck, Ulrich Muhe

 

Plus+

www.ocean-films.com/laviedesautres